What are you looking for..? [Maggie]

What are you looking for..? [Maggie] Julie213

Kennedy Milbrooks & Maggie Aikens

16h.

La dernière sonnerie du lycée retentit, et une foule d'élèves jaillit des deux bâtiments principaux. Le petit parking de l'établissement fut bientôt rempli d'adolescents chaudement vêtus, riant et bavardant gaiement. Le lycée de la réserve comptait une grande majorité d'élèves indiens, aisément reconnaissable à leur teint naturellement halé, et à leur cheveux couleur corbeau. Mais il y avait également quelques rares élèves dont les origines différaient de leurs camarades, et de temps en temps, une chevelure blonde ou châtain perçait la marée de têtes brunes. Dans l'ensemble, être lycéen à la réserve garantissait une certaine tranquillité. Les élèves se connaissaient depuis leur plus tendre enfance pour la plupart, et ils s'étaient tous côtoyés depuis le début de leur scolarité. Aussi, quand il y avait un nouvel élève, celui-ci aurait normalement du avoir du mal à s'intégrer, or ce n'était pas le cas. La mentalité était très différente d'un lycée normal. Ici, pas de rivalités, pas de clans ennemis, ici, pas d'animosité comme on pourrait en trouver dans un autre lycée. En vérité, il faisait bon aller en cours.

Enfin, pas pour tout le monde.

Un peu à l'écart de la masse d'étudiants, une jeune fille rangeait ses affaires dans son casier. Ses cheveux bouclés tombaient en masse sur ses épaules, et son teint pâle la distinguait des autres élèves. Affichant clairement un air maussade, elle vida son sac dans son casier, puis récupéra les livres dont elle aurait besoin pour travailler chez elle, le tout d'un geste très machinal. Elle allait fermer la porte de son casier lorsqu'une boulette de papier atterrit sur sa tête. Kennedy ne bougea pas, mais ferma les yeux d'un air las. Derrière elle retentirent quelques rires étouffés, et lorsqu'elle se retourna, de mauvaise grâce, elle aperçut un groupe de filles qui la fixaient, un sourire aux lèvres. Kennedy ne put s'en empêcher, et les dévisagea une à une. Les beaux visages halés des filles ne trahissaient qu'un amusement malsain, mais il lui était facile, presque trop facile, d'y lire autre chose. Elle connaissait ses filles, pour être en cours avec la plupart d'entre elles. Il y avait Lynn, Béa, Janelle et deux autres dont elle avait oublié le nom. Lynn la méprisait, comme le montrait son sourcil légèrement haussé, et ses narines dilatées, comme si une mauvaise odeur la gênait. Béa la plaignait un peu, et se tordait les mains en affichant pourtant le même sourire que les autres. Janelle la détestait, estimant que Kennedy était plus jolie qu'elle -toujours aussi futile, songea Kennedy, et elle comprit que la jeune fille lui en voulait d'avoir des cheveux bouclés, occupée comme elle l'était à glisser une main nerveuse dans sa propre chevelure. Elle savait qu'en la recroisant demain, Janelle trouverait un autre point physique à détester en la personne de Kennedy.
Kennedy baissa les yeux, comme à son habitude, et ferma son casier avant de quitter le couloir dans lequel elle se trouvait. Se glissant dans un groupe d'élèves qui sortaient, elle se retrouva sur le parking, et poussa un soupir de soulagement. Dans quelques mois, elle aurait fini le lycée, et pourrait enfin quitter la réserve. Non pas qu'elle s'y sente mal, mais elle en avait assez d'être considérée comme une bête curieuse par ses camarades de classe, et elle s'en voulait toujours d'avoir fait la bêtise de montrer à quel point elle pouvait en apprendre sur ceux qui l'entouraient d'un simple regard. Sans cela, elle aurait des amies, une vie facile, et peut-être même un petit ami..

Chassant ses sombres pensées, elle inspira à fond. Du coin de l'oeil, un éclair de couleur attira son regard, et elle tourna la tête. Une jeune fille d'à peu près son âge, à la chevelure d'un blond étincelant, se tenait debout, dans un coin. Le regard avide, elle semblait chercher quelqu'un. Kennedy eut beau fouiller dans sa mémoire, elle ne la connaissait pas, et en avisant les coups d'oeils appuyés que la plupart des garçons de la réserve lançaient à la jeune fille blonde, elle n'était pas du lycée. Kennedy s'approcha d'elle, poussée par la curiosité, et soigneusement dissimulée par un groupe d'élèves de Première année, elle dévisagea la jeune inconnue. De l'impatience, de l'espoir. De toute évidence, la blonde attendait quelqu'un à qui elle tenait, mais elle n'était pas sûre de le trouver. Peut-être une amie d'enfance à qui elle venait rendre visite. Peut-être une personne de sa famille à qui elle voulait faire une surprise. Mais il n'y aurait pas un tel empressement inscrit sur son visage, si c'était le cas.
Petit à petit, le groupe d'élèves derrière qui elle se dissimulait se dispersa, et elle se retrouva en plein milieu du parking à fixer une parfaite inconnue. Quelques garçons l'aperçurent, et lui lancèrent quelques moqueries à voix forte. Kennedy sursauta, prise au dépourvu, et rougit, consciente que la jeune fille blonde ne pouvait que la voir, et surtout, qu'elle ne pouvait que se rendre compte qu'elle l'observait!

Gênée, elle chercha une échappatoire, alors que la blonde s'approchait d'elle..

Maggie se sentait différente, ici. Elle ne ressemblait pas à tout le monde et sa chevelure d'un blond platine différait de toutes ces têtes foncées qui lui rappelaient douloureusement celui qu'elle cherchait désespérément. Cela faisait maintenant une poignée de jours qu'elle était ici et n'avait eu que très peu d'indices. Arriver jusque là relevait déjà de l'exploit : car personne n'avait vu de Lucas Stevenson depuis un bout de temps. Était-il déjà parti ? Ses yeux explorèrent les lieux : le lycée était à une heure de pointe où les élèves retournaient gaiement en cours. Ils semblaient calmes, plus chaleureux entre eux que les filles de Californie entre elles. D'ailleurs, Maggie ne pouvait pas prétendre en être certaine car elle ne les connaissait même pas suffisamment pour ça. Et il en était mieux ainsi, d'un côté. Malheureusement, il n'y avait aucune trace de lui ici. Pourquoi donc ? Pourquoi l'avait-elle laissé partir ?

Tandis qu'elle longeait les couloirs et interrogeait un ou deux indiens, elle se mordait nerveusement les ongles. Elle avait tellement peur qu'il lui soit arrivé quelque chose... Si prête du but. Les filles de la Réserve lui lançaient des regards tantôt sympathiques tantôt dédaigneux et les garçons la fixaient comme une bête curieuse. Il ne faisait pas trop froid aujourd'hui – et il ne pleuvait pas – mais il sembla à Maggie que le pôle nord ressemblait à Hanover. Elle n'était pas habituée à de telles températures et n'avait pas prévu les vêtements adéquats. Isillie lui prêtait les siens mais Maggie avait refusé pour cette fois-ci : elle abusait déjà assez de son hospitalité. Aussi arriva-t-elle par ce froid avec un Jean d'un bleu délavé, des bottes Cow-Boy au style Texan, un T-shirt gris à manche courte, ainsi qu'une veste de survêtement-jogging recouverte d'un blouson en cuir. Sa tenue n'aurait rien eu de choquant si elle avait été en plein hiver dans un autre endroit. Mais elle était à Hanover, où le vent soufflait fort et où les températures atteignaient des chiffres scandaleux et inimaginables, surtout pour une fille qui venait visiblement d'une région ensoleillée. Elle était à Hanover où le froid semblait avoir emporté toute trace de la présence de Lucas. Cette recherche ne semblait la mener à rien...

C'est alors qu'elle vit un groupe de filles à l'air supérieur, qui dévisageaient et critiquaient une fille à la peau pâle. Maggie se sentit moins seule. La jeune fille l'observait du coin de l'œil, cachée derrière une masse d'élève, et semblait timide. L'air plus rassuré et moins nerveux, Maggie la fixa à son tour. Le groupe d'élèves se dispersa et elles se retrouvèrent face à face. L'inconnue avait une peau presque translucide, même si elle était loin de ressembler à celle d'Isillie, des cheveux aux reflets roux-châtains et des yeux foncés. Maggie profita de l'instant pour s'avancer vers elle et l'aborder. Peut-être pouvait-elle l'aider ?

Le visage doux, malgré les inquiétudes qui perçaient, Magena entama la conversation. Sa voix, plus grave que celle des autres filles de son âge, retentit comme un écho lointain que tous écoutaient avec attention. Elle se sentait épiée, comme une bête curieuse, par toute cette tribu d'indiens. En fait, elle se sentait comme Kennedy.

« Salut. Tu es élève ici ? Je cherche quelqu'un, tu pourrais m'aider ? »

Avec un ton franc et une intonation décidée, Maggie se sentait persuasive. Mais elle n'était pas persuadée de sa prestation elle-même. Elle n'avait fait que peu de scène à Hanover jusqu'à aujourd'hui mais elle n'avait jamais eu un tel trac. Venir à la Réserve était un « moment de vérité » et elle ne se sentait pas la force de recommencer toutes les recherches. Il était ici. Il fallait qu'il soit ici.

Les élèves repartirent dans les salles les uns après les autres, déçus de ne pouvoir assister davantage à l'évènement du jour. Ils en reparleraient, c'était certain. Eux qui se connaissaient tous, se languissaient déjà de recevoir une nouvelle élève. Seulement Maggie n'en était pas une. Et n'en serait pas une pour autant. Elle n'avait pas le niveau, il était trop tard. Elle qui s'était arrêtée au milieu de la seconde n'avait pas eu la chance d'avoir un Bal de Promo et un diplôme. Et elle aurait été furieuse si elle avait su que Lucas, qui avait cette opportunité, y avait renoncé de lui-même. Il avait des circonstances atténuantes, toutefois elles dépassaient largement l'imagination de la blonde Californienne. La magie, le surnaturel ; tout ça, ça lui était toujours passé au dessus de la tête. Et aussi fut-elle, pour une fois depuis son arrivée, face à quelqu'un de normal. Un vrai soulagement, même si elle n'en avait pas conscience.

Sous les rires et les réflexions clairement moqueuses de ses "camarades", Kennedy ne put esquisser le moindre geste, trop gênée à l'idée de s'être fait surprendre alors qu'elle ne quittait pas des yeux la jeune inconnue. En temps normal, elle serait sûrement, et comme à son habitude, passer totalement inaperçue, puisque les gens ne la remarquaient jamais, à part quand il s'agissait de se défouler sur quelqu'un. Et dans ce cas, la jolie blonde ne l'aurait pas vu, n'aurait pas vu qu'on l'observait, et ne serait pas en train de marcher vers Kennedy. Seulement voilà, les quelques élèves qui traînaient encore sur le parking l'avaient aperçu, et ils ne pouvaient rater une occasion de se moquer d'eux. Avec seulement quelques cris et quelques rires, ils n'avaient eu aucun mal à attirer l'attention sur Kennedy, et bien sûr, la blonde n'avait pu que la remarquer elle aussi.
Déglutissant avec difficultés, Kennedy se prépara à se recevoir quelques réflexions bien senties, du genre " Tu veux ma photo" -trop gentil-, "T'as un problème?" -là encore, c'était gentil, mais Kennedy ne parvenait pas à penser quoi que ce soit de méchant, alors elle parvenait difficilement à prévoir ce qu'on allait lui dire. Mais elle savait que cela arrivait, de manière inévitable. Elle s'y était faite. Elle n'y prêtait plus attention, parce que elle connaissait ceux qui s'amusaient à l'embeter. Elle savait à peu près ce qu'ils allaient lui sortir. Seulement cette blonde, elle ne la connaissait pas du tout, et même si elle avait un visage angélique, elle pouvait très bien être méchante et teigneuse. Après tout, les filles de sa classe étaient aussi très jolies.. à l'extérieur, en tout cas.

Tétanisée, elle reçut presque un choc lorsque la blonde ouvrit la bouche pour lui demander si elle était élève au lycée, et si elle pouvait l'aider à trouver quelqu'un. Kennedy se sentit tout de suite stupide, et surtout, bien trop méfiante. Ce n'était pas parce qu'elle était entourée de crétins ou de gens indifférents, que tout le monde sur cette planète était du même type, ce n'était pas parce qu'il ne se passait pas une journée sans qu'on se moque d'elle, que chaque personnes qu'elle croisait lui réservait le même traitement. Et non, cette fois-ci, elle était tombé sur une jeune fille normale, qui apparemment ne vivait pas ici, ou du moins, pas à la réserve. Peut-être vivait-elle à Hanover. Dans tous les cas, elle était venue jusqu'ici pour trouver quelqu'un, une personne qui, selon toute vraisemblance et à en juger par l'air qu'affichait la demoiselle, était important à ses yeux.
Kennedy laissa alors tomber ses réserves et sa méfiance. Après tout, elle avait juste en face d'elle une jeune fille comme elle, qui avait besoin d'un coup de main, et généreuse comme elle l'était, Kennedy ne pouvait qu'accepter. Autour des deux demoiselles, le parking se vida peu à peu, mais Kennedy avait fini sa journée de cours, elle avait donc tout son temps libre pour venir en aide à une pauvre fille en détresse.

" Je vais dans ce lycée, oui. Tu es nouvelle? Ou tu cherches seulement quelqu'un? " questionna Kennedy.

La chevelure blonde de l'inconnue lui rappelait celle des Californiens, et après tout, peut-être que cette fille était originaire de cette région. Dans tous les cas, elle n'était pas du tout du style à avoir passé sa vie sous un ciel gris et orageux, comme c'était le cas dans la région. Hanover et ses environs, là où jamais le soleil ne brille, là où l'air est toujours humide.

" Tu cherches un élève? Une de tes copines? Je connais presque tout le monde, le lycée est petit, tout le monde se connait.. "

Gros mensonge. Le lycée était petit, c'est vrai, et tout le monde se connaissait, enfin, c'était tout comme. Kennedy connaissait pratiquement tout le monde aussi, mais pas parce qu'elle était leur amie ou leur adressait la parole. Plutôt parce que son passe-temps favori, était d'observer les autres. De fait, elle pouvait passer des heures dans son coin, à regarder et à décrypter l'attitude des gens qu'elle côtoyait au lycée. Par conséquent, elle les connaissait presque tous, et un peu trop même. Son don, mais aussi sa malédiction : trop connaitre les autres.

Les élèves de la Réserve n'étaient finalement pas si différents de ceux de « l'extérieur ». Certains valaient bien les filles de Californie – et étaient même pires. Aussi Maggie ne fut pas surprise lorsqu'ils se moquèrent d'une de leur camarade. Elle était reconnaissable entre tous – sa chevelure était son signe de distinction le plus flagrant. En d'autres lieux et en d'autres circonstances, Maggie avait été cette fille : mise à part pour telle ou telle chose. Seulement la différence était qu'avec le temps, les autres avaient appris où Maggie avait été élevée et, pour ce simple fait, la respectaient – cela ne les empêchait pas de la critiquer dans son dos. Car Maggie était issu d'un milieu hostile qui effrayait la plupart des gens. Le genre de quartier que l'on évite soigneusement en rentrant le soir à la maison. Le genre où les alcooliques dominent et où la violence et la drogue n'ont plus à faire leur preuve. Mais, tout cela, Maggie l'avait oublié. Elle n'était plus allée à l'école depuis deux ans environ et était passée directement à la vie active. Pour survivre, il fallait gagner de l'argent ; ce n'était pas son père qui le faisait. Alors elle avait du se retrousser les manches. Mettre de nouveau les pieds dans un établissement scolaire lui procurait une sensation agréable et familière, comme si deux ans n'avaient été que deux jours. Deux superbes amérindiennes passèrent devant elle et se débrouillèrent pour que Maggie les entende crier haut et fort : « Elles se croient tout permis, ou quoi ? Déjà l'autre pâlotte et maintenant celle là... C'est une vraie colonie... » Toutefois, Magena ne releva pas. Elle était passée au dessus de ces jeux d'enfants et avait atteint la maturité dont certains auraient eu fort besoin. Il y avait des gens stupides, partout dans le monde, de n'importe quelle tranche d'âge ; et si elle changeait pour eux, elle n'aurait pas fini de le faire. Qu'importe, elle les regarda d'un air mauvais pour leur signifier qu'elle se sentait supérieure à elles et continua son chemin. Un groupe d'élèves piaillait et se faisait un sang d'encre pour des examens, elle voulut les aborder mais ils se dispersèrent, la laissant nez à nez avec la rousse solitaire. Elle fut contente de croiser un peu de « blanc » dans une contrée si colorée et espéra que ce point jouerait en sa faveur : la jeune fille serait peut-être plus disposée à l'aider. Alors, elle s'approcha doucement et remarqua une légère tension chez cette lycéenne. Elle paraissait nerveuse et méfiante, comme si elle eût craint que Maggie ne vienne lui cracher des insultes à la figure. Cette dernière se contenta d'expliquer son cas et de demander si oui ou non son interlocutrice était apte à l'aider. Il n'y avait rien à craindre, elle était civilisée tout de même !

La lycéenne rousse fut facile à cerner. Un peu cliché, elle était le type de fille solitaire, discrète, qui ne dit rien mais n'en pense pas moins. L'image se fit encore plus nette lorsqu'elle précisa qu'elle connaissait tout le monde ici et que le lycée était petit. Il n'était pas si petit que ça mais il semblait insuffisant pour elle, comme si ce fut un terrain de chasse trop réduit. L'adolescente était visiblement observatrice et – vue comme ses camarades de tout à l'heure l'avait traitée – pas franchement aimée. Néanmoins, elle prétendait connaître tout le monde, ce que Maggie ne remit pas en doute. Elle connaissait même un ancien camarade du même style : observateur, au courant des derniers potins, mais muet comme une carpe. Cette fille avait un air de renfermée et une attention soutenue sur les actions de tout un chacun. Rien ne paraissait lui échapper et elle semblait se délecter de regarder son petit monde. Ce devait-être son hobby. Un hobby plutôt malsain, songea Maggie. Plutôt du genre à observer la vie de ses camarades au lieu de vivre pleinement la sienne...

La jeune fille baissa sa garde face à la demande de Maggie et se montra plus authentique, moins sur la défensive. Toutefois, la Californienne comprenait son comportement : après s'être fait traînée dans la boue toute la journée, on garde notre carapace. Mais une pensée traversa la petite blonde : pourquoi cette fille était-elle tant impopulaire et solitaire ? Qu'avait-elle de si spécial, à part son profil observateur – qui n'était pas non plus si gênant que ça – qui poussait les autres lycéens à la rejeter ? Maggie trouva cela injuste. Elle écouta d'ailleurs son interlocutrice avec toute la ferveur qu'elle put montrer et replongea ses songes dans Lucas. La vie de cette fille semblait intéressante mais elle ne devait pas oublier son but premier : le retrouver. A la question « tu es nouvelle ? » Maggie ne sut quoi répondre. Elle aurait bien aimé reprendre le lycée et avoir son diplôme mais elle n'avait pas le temps pour ça. Au moins, elle en avait les moyens financiers maintenant... Mais elle avait trop de retard à rattraper et trop de concerts au programme, pas le temps pour étudier. Ou au pire, par correspondance. Elle haussa les épaules, en guise de réponse.

« Peut-être, peut-être pas. Ça dépendra de beaucoup de choses. » éluda-t-elle gentiment.

Elle resta assez vague sur ce sujet, ne voulant ni dévoiler qu'elle avait arrêté l'école si jeune, ni qu'elle était en contact avec un agent : toutes ces cruches apaches rêvaient sûrement de devenir des superstars elles-aussi et il était hors de question pour elle de se faire piquer Fred. Elle hocha la tête à sa seconde question. En effet, elle cherchait quelqu'un. Et la petite enquêtrice qui se trouvait devant elle, dont la vie de tous n'était pas un secret, semblait bien placée pour lui apporter des informations supplémentaires. Maggie avait eu Lucas au téléphone le soir de son inscription au lycée et elle savait qu'il était venu ici, quelqu'un devait forcément le connaître. Maggie se lança et prononça distinctement le nom de son meilleur ami. Elle avait tourné en rond les deux premiers jours mais ce temps était bien résolu : elle voulait du résultat et elle en aurait.

« Oui, en fait je cherche quelqu'un. Lucas Stevenson, ça te dit quelque chose ? » demanda-t-elle avec espoir.

Il fallait croire qu'elle avait frappé à la bonne porte car qui mieux que quelqu'un qui observe au point de faire partie du décor pouvait l'aider à retrouver un élève si évident ? Lucas ne passait pas inaperçu : que ce soit pour son physique ou son caractère si aimable. Kennedy, dont elle ignorait toujours le prénom, était sûrement au courant de quelque chose. Ça, Maggie aurait pu le parier.

Au final, Kennedy s'était préparée au pire, pour rien. Après avoir vu sa côte de popularité chuter progressivement, elle avait fini par s'habituer à n'être plus qu'une ombre au milieu des autres, dans le meilleur des cas, et dans le pire, à être un exutoire vivant pour les élèves ayant passé une mauvaise journée. Plus rien ne la surprenait, venant de ceux qu'elle côtoyait. Ils n'étaient pas foncièrement méchant, juste un peu réfractaires à tout ce qui était différent. Et Kennedy était différente.
Elle avait eu des amis, au début de sa scolarité. De même, en entrant au collège, puis au lycée, il y avait toujours eu une ou deux personnes, elles-mêmes isolées, qui tentaient une approche, cherchait à faire connaissance. Kennedy les accueillait toujours avec amabilité, et gentillesse. Et puis ils discutaient, apprenaient à se connaitre, et Kennedy se laissait aller à les étudier avec sa perspicacité naturelle et son sens de l'observation presque surnaturel. Elle ne le faisait pas exprès, à l'époque, elle ne cherchait pas forcément à tout savoir sur tout le monde. C'était inné, chez elle, elle le faisait de manière tout à fait naturelle. Elle posait son regard sur une personne, elle l'observait, elle étudiait ses gestes, ses comportements, les expressions de son visage, et au final, cette horrible façon de considérer les gens finissaient par lui en apprendre plus qu'elle n'aurait du savoir. Il n'est pas bon de trop connaitre les autres, tout le monde a un jardin secret qu'il est sain de conserver. Avec Kennedy, il n'y avait pas, ou peu de secret. Bien sûr, elle aurait pu garder tout cela pour elle. Mais elle ne savait pas tenir sa langue. Elle n'était pas forcément indiscrète, elle était juste trop franche, trop sincère. Elle disait ce qu'elle pensait, sans forcément se dire qu'il aurait mieux valu se taire. Là encore, ce n'était pas forcément grave, elle n'était pas la seule à ne pas avoir de tact. Mais à trop en révéler sur ceux qu'elle connaissait, ceux-ci avaient finis par s'offusquer, l'avaient traité d'espionne, de voyeuse, et l'avaient laissé tomber.

La rumeur avait fait le reste. Petit à petit, les gens la considérèrent comme une sale petite fouineuse, et commencèrent à la chahuter, sans aller très loin. Juste quelques rires lorsqu'elle ouvrait la bouche, et quelques moqueries de temps à autre. Cela prit une ampleur plus grave lorsque Kennedy décida qu'elle en avait assez, et se servit de ses capacités pour deviner ce que cachait autrui, afin de les menacer et de les forcer à la laisser tranquille. Elle voulait juste qu'on lui fiche la paix, puisque personne ne voulait être son ami. Ce fut une grosse erreur, qu'elle paye chaque jours. Elle n'était qu'en Seconde, et en savait suffisamment pour faire renvoyer quelques élèves, et pour pourrir la vie de plusieurs autres. Elle laissa volontairement échapper quelques informations, et le reste se fit tout naturellement. Très vite, ses camarades comprirent qu'elle en savait trop sur eux, qu'elle en saurait toujours trop, et cela les rendit furieux. Ils firent d'elle leur souffre-douleur. Kennedy ne put se défendre. A quoi cela lui aurait-il servi, de divulguer davantage? Elle aurait toujours des problèmes. Elle se résolut à être devenue l'ennemie de tous, se bornant à attendre de pouvoir quitter la ville. Elle n'était pas prête de refaire la même erreur. Une fois à l'université, personne ne saurait rien de son formidable sens de l'observation. Elle deviendrait une jeune fille comme les autres, et aurait enfin de vrais amis.. des amis qui n'auraient aucun secret pour elle, voilà tout.

La jolie blonde omit volontairement de fournir une réponse claire à la question de Kennedy. Elle n'était pas du lycée, Kennedy en était sûre. Comme elle avait l'air d'avoir à peu près le même age que Kennedy, c'est que soit elle allait dans un autre lycée, soit elle venait d'être inscrite au lycée de la réserve. La jeune fille s'attendait plutôt à une réponse du genre "Non, je vais à Hanover High.." mais il n'en fut rien. La réponse évasive de la blonde éveilla la curiosité de Kennedy, qui afficha un air perplexe. Si elle n'avait pas évoqué un autre lycée dans lequel elle serait élève, et qu'elle n'avait pas non plus répondu qu'effectivement, elle était nouvelle, c'est qu'elle n'allait plus en cours. Kennedy prit rapidement le temps de détailler les vêtements de la jolie blonde, mais elle ne portait aucun vêtements griffés, aucune marque de grands couturiers. Elle n'était donc pas une riche héritière avec prof particulier à la maison, comme l'imagination débordante de Kennedy le lui avait soufflé. Donc, c'est qu'elle devait travailler. Cela n'avait rien d'étonnant, beaucoup d'adolescents, dès l'age de 16 ans, faisaient de petits boulots à droite et à gauche, le plus souvent afin d'économiser pour l'université. Mais ils n'arrêtaient pas les cours pour autant. Donc, c'est que la jeune fille blonde vivait de son travail.

Relevant brusquement la tête lorsque la jeune fille lui posa une nouvelle question, Kennedy se morigéna intérieurement. Pour qui se prenait-elle, à observer de la sorte une fille qu'elle ne connaissait pas du tout, juste pour en apprendre davantage? Rougissante, elle se promit de ne plus recommencer, et de se contenter de répondre aux questions qu'on lui poserait.

" Lucas Stevenson? " répéta-t-elle doucement, et elle se plongea dans ses pensées, fouillant dans sa mémoire. Le regard posé sur le bâtiment principal du lycée, elle réfléchissait, faisant ressurgir tout ce qu'elle savait sur le jeune homme. Oui, elle voyait très bien de qui il s'agissait, et un léger sourire fleurit sur ses lèvres. " Je le connais. Enfin, je sais qui il est. Un grand garçon, brun, aux cheveux bouclés, sportif à ses heures. Un peu bagarreur, mais très gentil, avec beaucoup d'humour. Je l'aimais bien. Il était en cours d'anglais avec moi, avant de.. "

Et subitement, elle se souvint. Ce fameux Lucas, qu'elle connaissait pour l'avoir observé dès son arrivée, lui avait tout de suite plu. Pas une seule fois il ne s'était montré désagréable avec elle, mais il faut dire qu'il ne l'avait jamais remarqué non plus. Il n'avait jamais posé les yeux sur elle, ce qui satisfaisait grandement la jeune fille. En revanche, elle ne s'était pas gênée pour l'étudier. Elle savait qu'il avait quelques amis, et qu'il jouait bien au basket. Elle l'avait déjà écouté jouer de la guitare, et elle avait d'ailleurs souvent trouvé des prétextes bidons pour passer devant la salle de musique au moment où il s'y trouvait, rien que pour l'écouter jouer. Et puis, du jour au lendemain, il avait cessé de venir au lycée, seulement quelques mois après son arrivée. Juste le temps de se faire des amis, qui l'avaient vite oubliés. Mais Kennedy, elle, ne l'avait pas oublié. Elle ignorait pour quelles mystérieuses raisons il avait cessé de venir en cours, mais elle savait qu'il vivait à la réserve, comme elle, alors elle avait attendu de le croiser au hasard des rues, et cela n'avait pas raté. Cependant, le changement qui s'était opéré chez le jeune homme l'avait laissé perplexe. Pourtant, devait-elle avouer à cette jeune fille, amie de Lucas Stevenson, qu'il ne venait plus au lycée depuis des semaines? Devait-elle lui avouer qu'il avait du se passer quelque chose qui avait rendu le jeune homme sombre, transformant son beau visage souriant en un masque fermé? Kennedy n'avait pas cherché à savoir ce qui avait pu se passer, mais il y avait anguille sous roche. Silencieuse, elle se mordit la lèvre, ne sachant trop quoi faire. Elle ne voulait pas être porteuse de mauvaises nouvelles, la jolie blonde en face d'elle avait l'air si gentille.

" Il ne vient plus au lycée. " se borna-t-elle à répondre, évitant de s'étendre sur le sujet.

Kennedy avait l'air plutôt gentille. Et Magena avait plus besoin d'aide qu'elle ne le laissait paraître. Jouer le rôle d'un shérif ou d'un détective privé n'était pas tâche facile. Elle était musicienne, pas enquêtrice, sa guitare ne l'aiderait pas à retrouver quelqu'un de disparu. S'il était si difficile à trouver, c'est qu'il y avait peut-être une raison. Était-il possible qu'il se soit glissé dans un trafic de drogue ? Ou avait-il déchaîné la fureur des gars du coin ? Tout ce qui avait pu le pousser à se rendre si discret échappait à Maggie, plongée dans son désespoir. Était-ce finalement d'elle qu'il se cachait ? Avait-il été mis au courant d'une quelconque façon qu'elle venait le voir ? Il n'avait pas de soucis à se faire, elle ne se mêlerait pas de sa vie. Elle voulait juste comprendre le pourquoi du comment et savoir comment il allait. Voir sa réussite était tout ce qui comptait à ses yeux et l'idée que Lucas ait pu sortir de la galère dans laquelle ils avaient grandi suffisait à rassurer et remplir de joie la petite Californienne.

Tout le monde avait fini par partir, il ne restait plus que les deux adolescentes. Maggie en profita pour observer davantage les lieux sans avoir peur de faire trop touriste. Le lycée de la Réserve était très différent de celui qu'elle avait vaguement fréquenté lorsqu'elle avait quinze ans. Il était, à vue d'œil, beaucoup plus petit. Combien pouvait-il accueillir d'élèves, au juste ? Bien moins que les dix milles étudiants du lycée californien qu'elle fréquentait. Rien n'était pareil ici. Que ce soit le style vestimentaire ou même les habitudes de vie, de ce qu'elle avait pu voir. Isillie n'était pas une référence en matière de vie normale, certes, mais il paraissait évident à Maggie que la frontière d'un état faisait toute la différence. Et où était donc le soleil qu'elle aimait tant ? Ici ne perçaient que les nuages et le froid, qui lui donnait constamment la chair de poule. A L.A, on vivait de shorts et de célébrités, tandis qu'ici, ville d'anonymat, on passait toute son année dans une polaire dodue. S'adapter à leurs habits était une chose difficile pour quelqu'un qui venait d'un lieu vacancier. Isillie avait des fringues géniales, qui en auraient fait baver plus d'une mais Maggie ne leur trouvait pas le charme des robes d'été et des t-shirts à manches courtes. Bien sûre, elle ne portait pas de robe, et encore moins des robes d'été ; même si elle reconnaissait ouvertement que c'était beau, une robe. Non par honte, juste par préférence, elle arborait plus des jeans déchirés que des jupettes volages. Il en était de même pour ses t-shirts aux imprimés anticonformistes qu'elle créait elle-même.

A côté d'Isillie, il est vrai que Kennedy était banale, « mademoiselle-tout-le-monde ». Elle n'avait pas cette beauté mystérieuse et effrayante et s'habillait de manière lambda mais elle avait tout de même un certain charme. D'un autre côté, Maggie n'avait véritablement rencontré ici que son amie vampire et tout le monde paraissait si commun à côté de ce personnage singulier. La facilité avec laquelle Maggie avait cru que tous les habitants d'Hanover étaient similaires à Isi paraissait bien stupide, à présent. Elle avait fait d'une exception une généralité.

Tandis que les deux adolescentes dialoguaient de la raison qui avait poussé Maggie à venir ici, cette dernière se sentit comme analysée par l'inconnue. La situation aurait pu être assez gênante si Maggie avait craint que Kennedy ne découvre quelque chose qu'elle n'était pas supposée savoir, toutefois elle n'avait rien à cacher et elle tenta de se montrer la plus naturelle possible. La réaction de Kennedy en l'entendant prononcer le nom de Lucas décrocha à la petite californienne un regard plein d'espoir. La lycéenne semblait le connaître.

« Oui, Lucas Stevenson. » insista-t-elle. « Il a été élève ici. Son père s'appelait Rowtag Clearlake, il vivait à la Réserve. » expliqua-t-elle, en espérant que ses informations supplémentaires permettraient à Kennedy de l'éclairer davantage.

Il y eût un léger silence avant que Kennedy, qui semblait replonger dans sa mémoire, affirme qu'en effet, elle l'avait connu. La description qu'elle en fit correspondait tout à fait aux souvenirs que Maggie avait de lui et un sourire si large se dessina sur ses lèvres qu'il parut presque douloureux. La lycéenne ajouta qu'elle l'aimait bien et qu'il était en cours d'anglais avec elle. Les yeux de Maggie pétillèrent, elle était rassurée de voir qu'ici aussi, il était bien aimé. Elle qui avait craint qu'il ne reste seul et qu'il ne s'adapte pas à la vie du New Hampshire, elle s'était trompée, à son grand soulagement. Retenant négligemment un soupir de joie, elle ne put s'empêcher de confier :

« Merci mon Dieu ! J'ai vraiment cru qu'il lui était arrivé quelque chose et... » s'interrompit-elle alors.

Le visage de Kennedy s'était soudainement fermé et elle paraissait livrer une guerre intérieure qui alarma Maggie. Il y avait quelque chose qu'elle voulait lui dire mais semblait penser que c'était une bonne idée, c'était flagrant. Maggie imagina alors le pire, une fois de plus. Kennedy lui cachait quelque chose sur lui et la proposition la plus vraisemblable paraissait celle du meurtre. Lucas avait peut-être été tué. A cette pensée, le cœur de Maggie battit plus fort. C'était impossible, il était plus fort que ça. Et il avait beau avoir un goût prononcé pour les ennuis, il n'était pas assez fou pour aller jusqu'à donner une raison de se faire assassiner. La blonde californienne eût une légère difficulté à déglutir et se força à ne pas pleurer tandis que la lycéenne avoua qu'il ne venait plus. Là, elle ne put se retenir, une larme coula. Une seule. La bouche frémissante, Maggie tenta de recouvrer son calme.

« Depuis combien de temps, environ ? » interrogea-t-elle d'une voix tremblante.

L'espoir et la joie qu'elle avait ressenti auparavant paraissaient ne jamais avoir existé. Elle revenait au point au zéro, à cet état d'angoisse perpétuelle.

En la voyant contempler le lycée d'un air songeur, Kennedy eut l'impression d'avoir en face d'elle une fille peu habituée au style de vie des habitants de la réserve. Ici, tout le monde se connaissait, parce que, somme toute, la réserve était assez petite. Il y avait plusieurs centaines d'habitants, mais comme les gens qui y vivaient étaient installés là depuis des générations, tout le monde avait fini par se connaitre, ce qui était bien, mais pouvait également être assez pénible. A cause de cela, les rumeurs couraient encore plus vite que n'importe où ailleurs. Au lycée, c'était pire. Kennedy jeta un coup d'oeil à son cher lycée, qu'elle brûlait de quitter pour aller enfin à l'université. Elle pouvait le dire franchement, elle détestait cet établissement, et les gens qui s'y trouvaient, presque tous du moins. Mais elle le fréquentait pourtant chaque jour.
Elle ne savait pas d'où la blonde venait, mais à en juger par le regard intrigué qu'elle jetait au lycée, elle ne devait pas avoir l'habitude d'en voir de cette taille, soit trop grand, soit trop petit, difficile à savoir. En tout cas, elle semblait penser qu'il y avait une énorme différence entre son monde à elle, et le monde de Kennedy. Celle-ci ne pouvait qu'approuver, à ses yeux, tout était différent de ce qu'on pouvait trouver à la réserve. Elle s'autorisa un nouveau coup d'oeil scrutateur, détaillant avec attention les vêtements de la blonde. Ici, il faisait presque toujours gris. Il pleuvait beaucoup, le soleil perçait rarement les nuages. L'air était chargé d'humidité et d'électricité, les orages étant monnaie courante. Les habitants d'Hanover comme ceux de la réserve s'y étaient habitués depuis longtemps, et le vivaient bien. Kennedy elle-même aimait bien ce genre de climat, et elle savait que si elle partait, elle aurait bien du mal à s'habituer au soleil et à la chaleur. Dans l'ensemble, le froid régnait en maître, écrasant très souvent le beau temps, et le soleil était bien trop timide pour tenter une percée dans la couche de nuages qui surplombaient la ville. Le matin, il n'y avait pas trop à réfléchir, on piochait plus facilement dans les vêtements chauds que dans les petites tenues d'été. Aussi, comme presque tous les jours, Kennedy portait un jean serré, un pull, des bottes en cuir pour éviter d'avoir les pieds trempés à cause de la neige et des flaques de boue, et un blouson épais, le tout dans des couleurs discrètes. Mais la blonde semblait soit avoir fait abstraction du temps, soit n'y être pas du tout habituée, ce qui renforça l'hypothèse de Kennedy la concernant : elle venait d'une ville où le soleil brillait bien plus souvent qu'ici.

La jeune fille releva les yeux, délaissant son analyse pour se plonger dans le regard de la blonde, qui était traversé par un éclair d'espoir, en apprenant que Kennedy connaissait la personne qu'elle cherchait. Un espoir vite remplacé par de la crainte. C'est précisément pour cela que Kennedy ne voulait en dire plus. De toute évidence, ce Lucas que cherchait la jeune fille, ne lui avait pas donné de nouvelles depuis un petit moment, il était donc normal qu'elle s'inquiète. Kennedy ne voulait pas être celle qui allait lui annoncer une mauvaise nouvelle, bien qu'elle doute que cela soit le cas. Disons que le fait que Lucas ne vienne plus en cours avait de quoi susciter des interrogations, mais la direction du lycée ne semblait pas s'en être inquiétée plus que cela, du moins pas d'après ce que Kennedy avait pu comprendre. Elle savait que le jeune homme avait perdu son père récemment, ce qui pouvait être une sacré bonne raison pour qu'il ne quitte plus son domicile. Mais elle sentait qu'il y avait autre chose, principalement grâce à son beau père. Celui-ci avait bien connu le père de Lucas, et il devait donc savoir des choses que beaucoup de monde ignorait. Aussi, lorsque Kennedy lui avait simplement dit qu'un "certain Lucas Stevenson ne venait plus en cours", il avait hoché la tête, son visage s'était assombri, et il avait détourné le regard.. ce qui était plus que suffisant pour la jeune fille. Si d'ordinaire son beau père était imperturbable au point qu'il était bien la seule personne en laquelle elle ne parvenait pas à lire, là c'était tout le contraire.
Pour sa part, Kennedy ne savait pas de quoi il retournait, mais pour avoir recroisé le fameux Lucas quelque temps plus tard.. elle aurait pu jurer qu'il y avait anguille sous roche.

" Ca fait six mois. " lâcha-t-elle avec une certaine réticence. "Après la mort de son père, en fait. Tout le monde était très choqué, parce que.. c'était un meurtre. "

Elle soupira, peu ravie de devoir annoncer tout cela à une parfaite inconnue, une fille de son age, qui cherchait juste un ami perdu de vue.

" Il vit toujours à la réserve, dans la maison de son père, si je ne me trompe pas. Mais.. il a changé. Je l'ai croisé deux fois, depuis qu'il a cessé de venir. Il était.. très différent. "

Comment lui dire que l'adolescent rieur et un peu chahuteur n'était plus que l'ombre de lui-même? Et surtout, comment lui dire qu'en l'espace de six mois, il avait non seulement pris une dizaine de centimètres, mais que même de loin, Kennedy n'avait pu que constater qu'il avait également pris des muscles. Il n'avait plus du tout l'air d'un adolescent, en fait, mais presque d'un adulte.

" Tu le connais depuis longtemps? " demanda-t-elle pour changer de sujet.

Magena n'était pas d'ici. Et elle n'avait pas l'intention de l'être. Partir si loin de chez elle n'était pas dans ses habitudes et elle n'avait d'ailleurs jamais voyagé. Même petite, elle n'avait jamais pu faire de sorties scolaires. Trop pauvre et trop prise chez elle, elle n'avait pas eu d'autre choix que de rester cloîtrée, à gérer son père, ivrogne. Il lui faisait tellement honte. Peut-être Lucas avait-il pu trouver quelqu'un de bien ? Rowtag Clearlake était-il plus digne que David Aikens ? C'est la question que se posait souvent Maggie. Elle n'avait pas d'illusions à se faire la concernant : David était son père biologique, elle n'en avait pas d'autres à chercher ; il était inutile d'espérer trouver un membre de sa famille qui puisse se montrer gentil et sain. En revanche, Lucas avait la chance de pouvoir rêver d'un homme qui se comporterait bien avec lui, qui serait le contraire de Shawn, son beau-père. Avait-il seulement retrouvé sa trace ? Maggie examina la situation et ne trouva pas de conclusion logique. Kennedy lui avait révélé qu'elle le connaissait mais qu'il ne venait plus, et ce silence morbide ne laissait vraiment rien présager de bon. Son premier instinct ne s'était finalement pas trompé : il s'était passé quelque chose de grave. On pouvait tout supposer mais ce que voulait surtout la petite californienne, c'était du concret, or personne ne paraissait en mesure de lui en donner. Si, effectivement, il avait disparu, pourquoi le lycée n'avait pas prévenu la police ou quelqu'un susceptible de le pousser à y retourner ? La conclusion apparut à Maggie comme une évidence : ce n'était pas seulement Lucas, d'autres personnes étaient mêlées à cela.

Lorsque Kennedy ouvrit la bouche, pour parler, Maggie serra les poings un peu plus fort. Elle craignait que la lycéenne ne soit celle qui lui apporterait la mauvaise nouvelle, et elle n'avait pas vraiment tort. Kennedy essayait de se montrer prévenante et de ne pas brusquer son interlocutrice mais, face à un tel mutisme, Maggie ne pouvait que paniquer intérieurement. Son pouls accéléra et sa gorge se noua, comme si une pomme s'y était coincée et l'empêchait de respirer correctement. Pourtant, elle n'avait rien avalé aujourd'hui, se levant trop tôt pour cuisiner. Isillie devait encore être à la maison, ou à l'université, elle ne connaissait pas son planning. Toutefois, Maggie pouvait affirmer que l'étudiante séchait des cours pour rester avec elle, ce qui la faisait culpabiliser davantage. Bien sûre, elle ignorait totalement qu'Isillie avait toute la nuit pour rattraper les leçons puisqu'elle ne dormait pas. Quoiqu'il en soit, le destin de Lucas était déjà suffisant, pas la peine de rajouter à cela le surnaturel de son hôte, même si, dans un sens, il expliquait la disparition du jeune homme. Ses yeux restèrent ancrés dans ceux de Kennedy jusqu'à ce qu'elle décide enfin à révéler la vérité. Maggie oscilla en entendant la révélation, elle comprenait ce qui avait pu le bouleverser. Il avait poursuivi un homme défunt avec tant de volonté que cette dernière, en retombant, ne servait qu'à lui créer une peine immense. Pourquoi n'y avait-elle pas pensé plus tôt ? A force de trop se focaliser sur Lucas lui-même, elle en avait presque oublié son père. C'était donc à cause de cela que Lucas se terrait comme un criminel... Le plus surprenant était bien évidemment les circonstances de la mort. Un meurtre... Lucas devait certainement être au courant. A moins qu'il ne soit lui-même le meurtrier, tuant son propre père pour une raison quelconque. Maggie secoua la tête, non c'était impossible. Lucas n'était pas un assassin et il n'avait aucune raison valable de tuer cet homme. Mais en revanche, il chercherait peut-être à se venger. Le pire était encore à venir car, dans le cas le plus extrême, sa vengeance avait déjà été effectuée et il se cachait pour éviter de répondre de son acte. Ou quelque chose du genre... L'imagination de la jeune fille déraillait, lui offrant des images toutes plus atroces les unes que les autres. Si son ami savait qu'elle le suspectait de meurtre, il se serait mis dans une colère noire. Car c'était un type bien, un garçon serviable et à l'écoute, et bien trop droit pour commettre un homicide.

Ses petites suppositions hâtives firent monter le rouge aux joues de la californienne, elle avait honte d'avoir envisagé de telles âneries. Sous le coup du stress et de la peur, il lui arrivait de penser tout et n'importe quoi mais devait-on l'en blâmer ? Tout était possible, non ? Surtout ici, à Hanover, où vampires et lycans affluaient en masse. Il ne fut pas aisé d'afficher un air impassible sans dévoiler l'inquiétude qui la rongeait de l'intérieur. Et la teinte écarlate qu'avait pris son visage ne l'aidait définitivement pas. Elle tangua un moment, faisant claquer ses bottes sur le sol, tentant de justifier sa mine par le froid tout en hochant la tête aux nouvelles données que lui fournissait la lycéenne. Il vivait encore dans la maison de son père, c'était déjà ça. Plus la peine de le chercher trop loin, il était quelque part dans le coin. Cela faisait déjà un point positif, parmi tant d'autres négatifs. Et au moins, elle connaissait une petite partie de l'histoire, elle n'aurait qu'à le questionner sur le reste une fois qu'elle lui aurait mis la main dessus. Prenant un ton dégagé, elle baissa les yeux.

« Je vois. » se contenta-t-elle de dire.

La petite rouquine confirma qu'il avait changé ces derniers temps et qu'il ne ressemblait plus à celui qu'il avait été. Maggie sentit une vague de déception lui parvenir, elle aurait aimé retrouver le même que celui qu'elle avait quitté. Mais elle devait s'adapter au nouveau lui, et pas l'inverse. Après tout, elle s'en doutait, il allait forcément devenir un autre en venant ici. Seulement elle espérait que la métamorphose ne serait pas trop flagrante. Elle balaya ses cheveux en arrière d'un air égal – bien que déçu – et satisfit la curiosité de l'adolescente. Depuis combien de temps le connaissait-elle au juste ? Cela lui parut une éternité, comme s'il avait toujours été à ses côtés, comme s'ils étaient nés ensemble. L'idée qu'ils furent un jour comme frère et sœur la blessa plus qu'elle ne voulut l'admettre car qu'étaient-ils aujourd'hui ? Elle craignait par dessus tout qu'il la considère comme une étrangère et qu'il envoie valser toutes ces années de proximité et de complicité. Dix ans. Dix années qu'ils vivaient presque tous les jours ensemble, soit parce que leurs pères respectifs monopolisaient l'une des maisons, soit parce qu'ils avaient besoin de décompresser ailleurs que chez eux.

« Je le connais depuis que nous sommes enfants. On avait neuf ans, la première fois qu'on s'est rencontrés. On a toujours été très proches, on vivait presque l'un chez l'autre. » expliqua-t-elle avec tendresse à l'évocation de ces moments heureux.

Où était passé tout ce bonheur, toute cette joie ? Étaient-ils partis en même temps que lui ? Depuis son départ, elle n'avait fait que sombrer davantage dans un gouffre sans fin et, sans son talent, elle n'aurait jamais pu s'en sortir. D'une certaine façon, elle était heureuse qu'il soit parti – et de toute façon, il n'avait pas vraiment eu d'autres choix. Mais d'un autre point de vue, elle était triste qu'il l'ait laissée seule à Riverside. Elle méritait mieux que cette vie sans queue ni tête et il aurait pu l'aider à tourner la page. Néanmoins, face à lui, elle ne voulait pas admettre que quelque chose n'allait pas, alors comment pouvait-il le savoir ? Il est vrai qu'elle aurait voulu qu'il la connaisse assez pour s'en rendre compte tout seul mais Lucas restait un homme et les hommes ne sont-ils tous pas aveugles et égoïstes ? Elle scruta le visage, d'apparence innocente, de la lycéenne qui se tenait devant elle, cahier à la main. Il était beau de constater que, partout dans le monde, des jeunes filles vivaient à des années lumières de tout cela, et ne se doutait pas une seconde de la difficulté de la vie. Ces dernières étaient souvent les plus préservées, les plus chanceuses. Les yeux de tous les hommes avec qui elle s'était contrainte à coucher lui apparurent comme une vision d'horreur et elle ferma les yeux, comme pour ne plus les voir. Elle avait beau essayer de ne jamais songer à tout cela, leurs images la hantaient, comme pour lui rappeler ses pêchés. La plupart était des hommes plus vieux qu'elle, répugnants et ivres. Quelques fois violents, comme son père. Les autres étaient assez jeunes, comme des anciens camarades de classe ou de vagues connaissances. A sa façon, Maggie était bien malheureuse. On rabâche sans cesse que l'argent ne fait pas le bonheur mais, sans, Maggie ne pouvait prétendre l'être. Et maintenant que la fortune commençait à lui sourire – qu'elle savait qu'elle vivrait sans se préoccuper de se rationner le soir, il lui manquait l'affection. N'était-il pas possible d'avoir les deux en simultanée ?

Sa bouche frémit sous l'effet du vent et s'entrouvrit de nouveau pour la remercier, brisant le silence solennel qui emplissait la cours, déserte.
« Merci beaucoup pour ton aide. Ce que tu m'as appris aujourd'hui me servira, c'est certain. »

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