I'm always your sister! [Irina]

Kate & Irina

I'm always your sister! [Irina] Alona054

Le vent soufflait, forçant les arbres à se pencher dangereusement. Les nuages d'un gris sombre défilaient à toute vitesse dans le ciel, et bien que la journée ait à peine débutée, il régnait dehors la même obscurité qu'à la nuit tombée. La légère brise de la veille, qui faisait voleter de minuscules flocons de neige, seuls vestiges de la dureté de l'hiver qui doucement se transformait en printemps, avait cédé la place à de grandes bourrasques de vent, et il ne faisait vraiment pas bon sortir de chez soi. Sauf si l'on était un vampire, que l'on ne craignait pas le froid, et que les nuages se trouvaient être nos meilleurs alliés. Kate aimait bien ce type de climat. Pas seulement parce que le temps gris et terne lui permettait de sortir sans avoir la peau qui scintille, mais surtout parce que cela lui rappelait de bons souvenirs. Elle ne savait pas si, en tant qu'humaine, elle avait aimé l'hiver, mais en Alaska, elle se régalait du mauvais temps, s'enfonçant avec délectation dans des manteaux à cols de fourrure dès qu'elle voulait se mêler aux humains, même si elle n'avait pas besoin de se couvrir. Elle aimait sentir le vent dans ses cheveux, elle aimait ce flot d'odeurs qu'il lui apportait. Elle aimait l'hiver. Elle s'y était tellement habituée, à force de tant d'années passées à voyager dans des endroits où l'été ne pointe jamais le bout de son nez.

Elle avait chassé la nuit dernière, effaçant les sombres cernes qui entachaient son beau visage d'une pâleur mortelle. Ses yeux d'un or liquide s'amusaient à suivre le mouvement des feuilles des arbres, et un léger sourire flottait sur ses lèvres. Elle était seule. La maison avait été entièrement vidée, mais comme elle savait où se trouvait chacun de ses habitants, elle n'avait pas à s'en faire, du moins, pas plus que nécessaire. Alice avait rapidement sondé l'avenir, afin de déterminer si une partie de chasse était trop dangereux, et une fois certaine qu'il n'y avait aucun risque, d'aucunes sortes, une partie des Cullens, accompagnés par les Denalis, étaient sortis. Il n'y avait que deux personnes qui ne se soient pas joints à eux : Edward, et Irina.
Concernant Edward, Kate savait très bien où il se trouvait : près de sa femme Bella, bien évidemment. La vampire s'autorisa une petite pensée pour le couple, une pensée positive. Si elle même ne souhaitait pas du tout s'engager, du moins pas avant d'avoir trouvé le bon, elle enviait quelque peu les jeunes mariés. Bella ne semblait heureuse que lorsqu'Edward était à ses cotés, elle ne respirait que lorsqu'il était près d'elle. Et pour son cousin, c'était, à peu de choses près, similaire, si ce n'est qu'il n'avait pas besoin de respirer. Mais il était entièrement tourné vers son épouse. Kate était heureuse de les voir si amoureux.
La seconde personne, et bien il s'agissait de sa petite soeur, la cadette des Denalis. Irina. Kate perdit son sourire et son visage devint soucieux. Elle en avait longuement discuté avec Tanya, mais ni l'une ni l'autre ne savait quoi penser de l'attitude d'Irina. Il était évident qu'elle ne voulait pas se trouver ici, avec les Cullens, elle avait clairement fait comprendre qu'elle ne souhaitait pas quitter l'Alaska, quand bien même il s'agissait d'aider leurs amis de toujours. Et depuis qu'ils étaient arrivés, les choses avaient empirées.. ou s'étaient calmées, Kate ne pouvait en jurer. En réalité, elle s'était plutôt attendu à des réactions plus violentes de la part de sa petite soeur. Irina avait sale caractère, mais Kate aussi, il lui était donc plutôt facile de deviner comment allait réagir Irina. Or, il n'y avait pas eu d'esclandres, pas de crises de colère, pas une seule remarque désagréable.. et pourtant, il y avait de la matière! Irina n'avait qu'à choisir : Bella et sa condition d'humaine, Mathilda et les Volturis.. surtout les Volturis, d'ailleurs.. et pourtant rien, pas un mot. Irina était devenue distante, effacée, silencieuse et surtout, absente. Elle n'était presque jamais là, mais personne ne savait où elle passait son temps. Kate aurait bien voulu demander à Alice de sonder l'avenir d'Irina, afin de savoir où la vampire se rendait durant ces longues heures loin de sa famille, mais il y avait plus important que les vadrouilles d'Irina. Quand à Edward, il ne lui avait pas semblé qu'il ait pu lire quoi que ce soit dans l'esprit d'Irina, c'est donc qu'il n'y avait pas matière à s'inquiéter.. du moins, elle l'espérait. Même si Irina était connue pour son caractère parfois odieux et immature, qui sait ce qui pouvait lui passer par la tête.

Espérant de tout son coeur qu'il ne s'agisse que d'un simple caprice, et que sa soeur soit dans un coin en train de bouder, Kate sortit sur l'imposante terrasse de la demeure des Cullens, et s'assit sur les marches. Ses cheveux lâchés volaient en tout sens, mais cela ne la gênait pas. Une fragrance qu'elle connaissait bien vint chatouiller ses narines, et son regard se déporta aussitôt vers la droite. Il n'y avait rien ni personne, mais au loin, presque entièrement dissimulée dans l'obscurité de la foret, totalement silencieuse, s'avançait la silhouette de sa soeur Irina. Affichant un sourire, Kate la regarda s'avancer, absolument pas troublée par la fureur du vent qui aurait du lui faire adopter une démarche hésitante. Mais les deux vampires n'étaient pas touchés par le climat et ses caprices, comme le prouvait la tenue de Kate, bien inadéquate avec la saison, puisque composée d'un haut à manches longues couleur chocolat, fin et qui épousait son corps parfait, et d'un jean, le tout accompagné d'une simple paire de baskets.

" Tu chassais, petite soeur? Je ne t'ai pas vu depuis un moment, 47 heures, si je ne m'abuse. Tout va bien? " demanda-t-elle en adoptant une posture humaine, les bras tendus en arrière pour s'appuyer dessus.

Allongée dans la neige, Irina réfléchissait. Elle gisait sur la poudre froide les yeux fermés, la respiration mesurée et les mains posées sur la poitrine. En vérité, elle ne réfléchissait pas vraiment : elle laissait simplement son esprit vagabonder. Elle profitait tout simplement des quelques heures de liberté qu'elle pouvait avoir. Pourquoi de liberté ? Parce que dans son nouveau et charmant « foyer », elle était constamment traquée, questionnée, toujours obligée répondre à des pourquoi, à des comment.
Et surtout, surtout, d'avoir ses pensées constamment épier par la personne même qu'elle détestait. Oh oui ... Que n'aurait-elle pas donné pour se précipiter sur Edward et de planter ses crocs dans sa chair ... Ou non, encore mieux. De planter ses crocs dans sa précieuse petite Bella, de la laisser à moitié morte sur le sol et d'écouter les lamentations de son cher Edward. Irina eut un léger sourire. Oh non ... Il ne fallait pas se laisser berner par son apparence fragile, c'était bel et bien un monstre que vous aviez devant vous. Et à côté les monstres de Poe et de Stevenson faisaient bien pâle figure à côté d'elle, non seulement elle avait un esprit tordu et laid mais en plus la nature l'avait doté de crocs puissants ...

On aurait vraiment pu la prendre pour une poupée en l'observant de loin; sa posture demeurait immobile et sa chevelure blonde constituait le seul rayon de soleil à l'horizon. Aujourd'hui, Irina avait décidé d'opter pour autre chose que du noir ... Au diable les fausses apparences et les semblants humains. Irina avait, pour on ne sait quel raison, voulu se sentir belle aujourd'hui. Elle avait enfilé une robe bleu nuit avec des bas résilles et des hauts talons. Tout ça pourquoi ? ... Pour personne. Mais disait-on pas que le diable avait un visage d'ange en permanence ? Et comme Irina était dans ses petits papiers, autant se faire belle en permanence.

Il y alors un bruit, Irina se redressa aussitôt. Elle fut très surprise de voir un puma. Ce n'était pas sa région ... Il devait très certainement, s'être perdu. Irina referma les yeux et reprit sa position dans la neige sauf que cette fois-ci, elle cessa de respirer. Elle entendit très distinctement l'animal l'animal approcher. Lentement, très lentement, à pas feutrés. Elle devait très certainement avoir piqué la curiosité du prédateur. Un seul problème : Irina était également un prédateur. L'animal se mit à la renifler puis à lui lécher la joue droite. C'est à ce moment précis qu'Irina se jeta sur lui. Elle le retourna dans un simple mouvement et le cloua au sol. Avant que la bête eut le temps de cligner des yeux, elle planta ses crocs juste au dessus de la jambe droit de l'animal et but.

Avant, Irina trouvait la chasse gratifiante, enivrante, amusante. Maintenant, elle ne le faisait que parce qu'elle devait le faire. Prendre du sang à un autre être ne l'intéressait plus, cela ne faisait que la maintenir en vie. Et elle n'avait plus aucune raison d'être en vie. L'animal ne se débattait plus, Irina le lâcha et jeta sa carcasse vide au loin : on aurait dit un petit chat à présent. Elle essuya le sang qu'elle avait encore sur le menton. Elle jeta un rapide coup d'œil autour d'elle, il n'y avait plus rien ici pour elle.

D'un pas serein, Irina se dirigea vers la villa des Cullens. Elle espérait vraiment qu'elle soit vide, auquel cas elle devrait s'enfermer s'enfermer dans sa chambre avec sa musique dans les oreilles. Arrivée à proximité de la villa, Irina vit sa soeur, Kate, assise sur les marches. Elle écarta les mèches qui lui venaient sur le visage à cause du vent et s'avança d'une démarche assurée pour faire face à sa soeur.

« Tu chassais, petite soeur? Je ne t'ai pas vu depuis un moment, 47 heures, si je ne m'abuse. Tout va bien? »

Pour simple réponse, Irina haussa les épaules. C'était sa soeur qui venait de l'informer du temps qui s'était écoulé depuis la dernière fois qu'elles s'étaient vu, honnêtement, Irina s'en fichait et puis ... Les secondes restait toujours des secondes alors pourquoi les compter ? Irina fixa alors Kate, apparemment, elle n'allait pas pouvoir aller dans sa chambre aussi facilement qu'elle l'avait espéré.

« C'est une vraie question Kate ou c'est juste histoire de faire la conversation ? Dans les deux cas, les réponses sont : qu'est-ce que ça peut bien te faire et je n'ai pas envie de te parler, là dans l'immédiat. Alors, si ça ne te dérange pas ... »

Sur ce, Irina adressa un sourire à sa soeur, le genre de petit sourire bien agaçant, avant d'amorcer un mouvement vers l'intérieur de la villa. Vous aviez dit garce ? Oui, vraiment.

Si elle avait eu des souvenirs de sa vie d'humaine, Kate aurait eu en mémoire les nombreuses disputes entre elle et Irina. Mais après cinq siècles d'existence en tant que vampires, tout était devenu trop flou. Elle ne se souvenait pas des nombreuses disputes qu'elle avait eu avec sa cadette. Elle ne se souvenait pas des crises qu'Irina pouvait avoir. Mais ces cinq longs siècles avec pour seule et unique compagnie son clan lui avait appris bien des choses, notamment qu'Irina et elle ne pouvaient passer beaucoup de temps ensemble sans finir par se sauter à la gorge. Ce n'était pas par méchanceté, par mesquinerie ou parce qu'elles ne s'aimaient pas. Mais leur deux caractères n'étaient pas compatibles. Irina était égoïste et arrogante, Kate impulsive et susceptible. Irina aimait titiller le caractère emporté de Kate, Kate réagissait au quart de tour et remettait sa petite soeur insolente à sa place, celle-ci cherchait à se venger, Kate finissait par exploser et elles se disputaient jusqu'à ce que Tanya s'interpose pour calmer le jeu. Il y avait un long passé commun de cris et de chamailleries entre les deux soeurs, mais au fond d'elle, Kate aimait profondément sa soeur, et elle pensait pouvoir dire que cette affection était réciproque. Après tout, ce n'était pas si grave, les soeurs, ça se disputent souvent..

Ce jour-là, Kate n'avait pas forcément l'intention de se disputer avec Irina. Non pas que cela ait déjà été dans ses intentions, mais ce jour-là, elle était contente de voir sa soeur qui ne montrait pas souvent le bout de son joli nez ces jours-ci. Avec ce qui se passait en ce moment, avec les Volturis qui s'étaient déjà montrés, il y avait quand même un risque assez important. Tout pouvait arriver, et Kate ne se sentait rassurée que lorsqu'elle avait sous les yeux l'intégralité de sa famille et de ses amis. En voyant sa soeur avancer vers elle, Kate s'était sentie un peu soulagée, et la question qu'elle lui avait posé n'avait pas pour but d'être indiscrète. Elle voulait juste savoir si tout allait bien, si Irina n'avait pas eu de problème pendant ces longues heures loin des siens, et éventuellement, si Irina se sentait d'humeur bavarde, savoir où elle avait bien pu passer son temps toute seule. Seulement Irina n'avait apparemment pas l'intention de se faire questionner, ni même l'intention de se montrer agréable. Un mauvais jour, peut-être, mais en y réfléchissant bien, Irina était d'une humeur exécrable depuis le début de leur séjour à Hanover. Cela ne se traduisait pas comme chez Kate, qui elle, ne pouvait se retenir de crier pour un rien et de tout casser sur son passage. Irina, quand à elle, gardait son sourire, et rien sur son visage ne trahissait un quelconque sentiment de colère. Il fallait beaucoup d'entraînement, une connaissance parfaite de la jeune vampire, ou des années et des années passées près d'elle, pour réussir à faire la différence entre une bonne et une mauvaise journée. Et les journées semblaient toutes mauvaises pour Irina, ces temps-çi. Kate ne savait pas vraiment pourquoi. Ou plutôt, elle n'avait pas pris le temps d'y réfléchir, et c'était peut-être une erreur de sa part. Il allait falloir qu'elle s'occupe un peu plus de sa petite soeur, après tout, elle avait beau ne pas être le leader des Denalis, elle restait la soeur aînée, c'était son devoir de prendre soin de Tanya et d'Irina..
..que cela plaise à Irina, ou non.

" C'est une vraie question, et dans la mesure où tu es ma petite soeur, il m'importe de savoir où tu es. " répliqua Kate avec un léger froncement de sourcil.

Et cela aurait pu s'arrêter là, mais le sourire qu'Irina lui adressa lui fit monter la moutarde au nez presque immédiatement. C'était comme ça, avec Kate, un rien la mettait hors d'elle.

" Que tu aies envie de parler ou non, cela m'est égal. Prends le temps de t'asseoir, ou reste debout si tu préfères. Mais j'ai envie de parler, moi, et dans l'immédiat. " poursuivit-elle. " Dis-moi, tu te sens à l'étroit dans cette immense villa, pour passer autant de temps dehors? Ou bien tu boudes, comme à ton habitude? " lança-t-elle. " Qu'est ce qui ne va pas? Tu n'aimes pas Hanover? Tu es contrariée? "

Bien qu'un peu agaçée par le comportement provocateur de sa petite soeur, la vampire essaya de modérer ses ardeurs, et de comprendre un peu mieux ce qui n'allait pas avec Irina. Après tout, elle l'aimait, d'un amour inconditionnel, et cela, même si Irina s'évertuait à la mettre en colère.

Irina aurait du sans douter, Kate ne l'aurait jamais laissé partir ainsi. Surtout pas après ce qu'elle venait de lui lancer en pleine figure. Mais bon, la blonde était naïve à ses heures perdues ... Cependant, il ne fallait pas qu'elle oublie les heures passées à se disputer avec son aîné. Leur relation avait toujours été ... Compliquée. Irina appréciait réellement sa grande soeur, ne vous détrompez pas, mais leurs caractères étaient diamétralement opposés. Kate avait toujours été si fougueuse et impatiente, il ne fallait vraiment pas l'énerver car c'était alors une tornade de sensualité et d'impétuosité qui s'abattait sur vous.
Au contraire, Irina était beaucoup plus posée et beaucoup plus tactique. Elle préférait se réfugier derrière des faux sourires et des fausses courbettes, attendant le moment parfait pour attaquer. Irina était venimeuse, elle avait le charme et la grâce d'un serpent, l'œil et l'esprit toujours à la recherche d'une faiblesse. C'était une technique perverse et sadique et il était très difficile de savoir de qui elle la tenait. Ses deux sœurs ne se comportaient évidemment pas comme leur benjamine, mais au fil des siècles à côtoyer un caractère aussi impitoyable, elles avaient appris à détecter les propres signes de faiblesses d'Irina. C'était comme des appels secours invisibles qu'elle émettait inconsciemment, comme si le masque qu'elle portait constamment sur le visage comportait des fissures si invisibles et pourtant si réels qui permettaient à des larmes tout aussi concrète de s'échapper. Et de briser cette façade si parfaite d'arrogance et d'égoïsme.

Aussi, il était complètement idiot de croire que sa soeur allait reculer et même ce si Irina ne se montrait pas très conciliante. Irina ne put retenir une exclamation de dédain quand Kate lui rappela qu'elle était sa petite soeur et qu'elle désirait savoir où elle se trouvait. Irina se tourna brusquement vers elle, les bras croisés sur la poitrine, ses talons aiguilles glissant sur le sol de la véranda. Elle jeta un regard noir.
Oui, elle était la petite soeur du clan, oui ses sœurs devaient la protéger mais elle n'allait tout de même pas leur demander la permission à chaque fois qu'elle devait sortir, non ? En plus, elle était un vampire ? Que pouvait-il lui arriver ? Absolument rien.

Oui, du haut de son un mètre soixante cinq, rajoutez huit centimètres à cause des talons aiguilles, Irina se sentait invincible. Cette sensation d'instant présent mêlée à de l'adrénaline coulait en permanence dans ses veines : elle n'avait plus rien à perdre. On lui avait tout prix. Ses sœurs ne pouvaient-elles pas voir que tout ceci, cette façade ce n'était que pour garder un semblant d'existence ? Que c'était juste pour les rassurer elles ! C'était pour elles qu'Irina faisait tous ses efforts et c'était tout ce qu'elle était capable de faire pour l'instant. Elle ne pouvait pas être joyeuse et pleine de vie en maintenant, elle ne pouvait plus sourire juste pour sourire. Elle ne pouvait même plus vivre pour vivre.
Tout ceci n'était qu'une mascarade déguisée, un jeu d'échec extrêmement bien mené. C'était le seul moyen qu'elle avait trouvé pour ne pas s'allonger nue à même le sol et hurler de toutes ses forces. Il n'y avait plus rien à l'intérieur, c'était vide, aussi vide que les ténèbres laissées à la proie des flammes. Mais elle n'allait pas craquer, c'était la seule chose qu'elle s'interdisait. Hors de question de leur donner une raison de penser qu'elle était vraiment faible.

Les mots suivants de sa soeur la clouèrent littéralement sur place. Etait-elle complètement aveugle ? Bien sûr que non, Irina n'était pas à l'aise à Hanover, ils auraient pu aller dans n'importe quel endroit de la planète et elle n'aurait pas broncher. Mais ici ? Là où Bella Swan s'épanouissant dans un bonheur écœurant ? Le pire dans tout ça, c'était que Bella s'évertuait à vouloir être polie avec Irina et c'était ça, plus qu'autre chose qui faisait du mal à Irina. Elle ne pouvait tout simplement pas l'ignorer ? Non, il fallait que mademoiselle se montre polie et souriante, toujours de bonne humeur. C'en était vomitif. Mais bien sûr, l'esprit d'Irina restait aussi impénétrable qu'une forteresse et même Edward n'aurait pu en percer les sombres secrets.

Mais revenons à la situation précise, c'est-à-dire Irina face à sa soeur. La blonde la fixa quelques secondes avant de faire un pas vers elle.

« Oh ! Tu me donnes des ordres maintenant ? Mais attend voir ... Ce n'est pas Tanya la chef de notre précieuse petite famille ? Tu n'as pas abandonné ce rôle il y a quelques années de cela par lâcheté ou je ne sais quoi ? Non parce qu'il faudrait me prévenir ... Histoire que je sache à qui je dois rendre des comptes. »

Oui, c'était lâche et cruel de remettre ce problème sur le tapis. Irina savait bien qu'elles avaient décidé d'un commun accord de laisser Tanya prendre la direction du clan. Mais en amour comme à la guerre tous les coups étaient permis. Et Irina comptait bien gagner cette bataille. Elle ponctua même sa phrase d'un petit rire avant de répondre aux questions de Kate.

« Et si pour une fois tu utilisais ton cerveau Kate, juste une toute petite fois pour me faire plaisir ... A ton avis, je suis censée faire quoi ? Sauter de joie parce que je suis ici et me jeter corps et âme dans la bataille pour pouvoir défendre nos précieux amis les Cullens ? Je suis désolée ma chérie le pathétique c'est ton domaine, pas le mien. »

En laissant son désir de protéger sa famille, et son caractère prompt à s'emporter, parler pour elle, Kate avait, semble-t-il, suffisamment énervée sa cadette pour que celle-ci se retourne d'un bloc vers elle. Irina la considéra d'un oeil noir, un air franchement dédaigneux et méprisant sur le visage. Kate connaissait bien cette expression, Irina la destinait à ceux et celles qu'elle n'aimait pas, qu'elle ne jugeait indignes de son intérêt, à ceux qui l'agaçaient et l'importunaient, à ceux qui lui rappelait qu'elle n'était pas invincible, ni parfaite. Ses deux aînées y avaient déjà eu droit, elles y étaient donc habituées. Tanya savait peut-être passer outre cette marque distincte de mépris, mais Kate ne pouvait souffrir de voir sa petite soeur lui jeter un tel regard, et en général, cela suffisait à la mettre hors d'elle. Elle ne supportait pas que sa propre soeur la prenne de haut. Qu'elle s'offense d'être surprotégée malgré sa condition de vampires, c'était une chose. Elle avait beau être immortelle, elle n'en restait pas moins la petite soeur adorée de Kate, qui voulait prendre soin d'elle, et qui s'inquiétait pour elle. C'était déjà le cas en temps normal, mais dans une moindre mesure. En Alaska, si Irina partait chasser pendant des jours, voir une semaine, Kate n'en était pas troublée. Elle se demandait où était sa cadette, et si tout allait bien pour elle -on ne sait jamais. Mais cela n'allait pas plus loin. Au vu des circonstances, elle avait tendance à s'alarmer plus facilement, et elle trouvait cela normal, après tout. Les Volturis risquaient quand même de leur tomber dessus à tout moment!

La simple question que Kate avait posé à Irina, et qui semblait avoir déplu à celle-ci, était pourtant chose commune. Lorsqu'elle ne voyait pas Irina pendant plusieurs jours, dès qu'elles se retrouvaient, Kate lui demandait si tout allait bien. Et Irina pestait, ou lui jetait un regard ennuyé, mais elle se bornait à lui jeter à la figure qu'elle était "belle, forte, intouchable et indestructible, et qu'elle aimerait que la mère poule qui se fait passer pour sa grande soeur cesse de la prendre pour une faible humaine". Cela n'allait pas plus loin. Là, il fallait croire qu'Irina était déjà d'humeur exécrable, car elle sembla s'offusquer davantage de cette petite question.
Voyant cela, Kate tenta d'en savoir plus, de pousser sa soeur à se confier à elle. Elle voulait comprendre, comprendre ce qui se passait et pourquoi sa soeur était si absente et distante. Kate s'inquiétait, elle voulait juste prendre soin de sa petite soeur chérie, et l'aider si besoin est.
Irina ne voyait pas du tout les choses de cette manière, et les mots qu'elle prononça, elle ne les avait encore jamais prononcés. Peut-être les avait-elle pensé, sûrement même. Mais les entendre de la bouche de sa propre soeur fut comme un couteau dans le coeur pourtant mort de Kate, et si elle avait pu respirer, son souffle se serait bloqué dans sa gorge. Ébahie par la cruauté, et la vérité, qui franchissait les lèvres écarlates de sa petite soeur, la vampire en resta bouche bée, avant de sentir la colère l'envahir pour de bon cette fois-ci.

" Et devoir m'occuper d'une gamine irresponsable et égoïste telle que toi? Plutôt passer pour une lâche, comme tu le dis si bien. Je n'ai pas les nerfs assez solide pour endurer tes jérémiades à longueur de journée comme le fait Tanya. A sa place, je t'aurais déjà arraché la tête. Et tu prouves une fois de plus à quel point tu peux être horrible à supporter. Comment oses-tu me parler de cette façon? As-tu seulement conscience de ce que tu dis? "

Kate hésitait sur la conduite à adopter. Sauter à la gorge de sa soeur et la jeter contre un arbre? Après tout, elle ne se ferait pas mal, et cela calmerait les nerfs de Kate pendant un petit moment. L'électrocuter, pour lui apprendre la politesse? Ou bien l'ignorer, et aller se défouler sur quelque chose? Irina ne savait pas à quel point c'était un sujet sensible pour Kate, qui s'en était longtemps voulu de ne pas être à la hauteur de sa soeur Tanya, et de ne pas pouvoir endosser le rôle de leader. A défaut d'être calme et réfléchie, elle était au moins lucide et elle se connaissait suffisamment pour savoir qu'elle aurait conduit son clan à sa perte. Elle n'aurait pas su prendre les bonnes décisions, et en cas de crise, elle n'était pas sûre de savoir réagir. Elle avait tellement honte d'avoir un tel caractère, qu'elle avait eu du mal, beaucoup de mal, à vivre avec le point de cette constante humiliation. Voir sa petite soeur Tanya jouer le rôle que normalement elle aurait du avoir, si elle avait été moins emportée, était une torture comme une bénédiction. Elle avait honte d'avoir laisser sa soeur endosser un tel fardeau, elle avait honte d'elle-même, à un point qu'Irina ne pouvait imaginer. Personne n'avait idée de l'opinion qu'elle avait d'elle, Kate n'en avait jamais parlé, à personne. Elle détestait celle partie de son caractère, cette faiblesse qui faisait d'elle une mauvaise soeur. Irina avait-elle seulement conscience du mal que pouvait faire les mots qu'elle avait prononcé? Il y avait peu de chance. Et même si elle le savait, s'en souciait-elle seulement? Là encore, il y avait peu de chance, surtout si on considérait le regard qu'elle jetait à sa propre soeur en ce moment même.
Ravalant la douleur qu'avait naître en elle les paroles d'Irina, Kate fit ce qu'elle savait faire de mieux : elle laissa sa colère parler pour elle.

" Tanya est peut-être notre leader.. mais je suis quand même ta grande soeur, et en tant que telle, au cas où tu l'aurais oublié, tu me dois le respect et l'obéissance. Tes réflexions de gamine immature et égocentrique, tu peux te les garder. Si tu n'es pas capable de comprendre pourquoi nous sommes ici, c'est ton problème, personnellement, je me fiche que tu sois heureuse ou pas, je me fiche que tu sois d'accord, tu fais ce qu'on te dit, et c'est tout! Et puis, ça changera, que tu écoutes, toi qui n'en fais toujours qu'à ta tête. Carlisle a besoin de nous. Tu te souviens, Carlisle, qui nous a tant aidé et a tant fait pour nous? Ou bien ton égoïsme a atteint une telle ampleur que tu n'es plus capable que de regarder ton propre nombril? Alors je suis peut-être stupide, et d'une lâcheté sans commune mesure, parce que j'ai refusé de jouer les nounous pour toi, je suis peut-être pathétique, mais je pense aux autres. Tu as fait quoi, depuis notre arrivée? A part bouder dans ton coin et te montrer plus désagréable que tu ne l'as jamais été? Il serait peut-être temps que tu te comportes autrement que comme une enfant pourrie gâtée, et que tu penses à ceux qui t'entourent. Les Cullens ont besoin de nous, et nous allons les aider. "

Elle s'interrompit, et sembla se rendre compte qu'Irina sous entendait peut-être quelque chose dans ses dernières paroles.

" Rassures-moi, si les Volturis débarquent, ce qu'ils feront tôt ou tard.. tu comptes bien nous aider? Tu n'aimes peut-être pas cette ville, tu n'aimes peut-être pas être ici, tu n'as peut-être pas envie d'être gentille, c'est une chose. Mais nous allons nous battre. Que feras-tu, si cela arrive? Tu regarderas tes amis et ta famille mourir juste parce que tu es contrariée? Juste parce qu'on t'a forcé à faire quelque chose que tu ne voulais pas faire? Réponds-moi, j'aimerais savoir. "

Kate n'était pas sûre, mais après tout, si tous les Denalis avaient jurés d'aider les Cullens.. Irina n'avait jamais rien dit de tel. Elle était ici contre sa volonté. Kate ne savait pas ce qu'elle pensait, elle ne savait pas ce qui rendait sa soeur aussi.. méchante. Mais un doute commençait à germer dans son esprit. Irina était rancunière, et se calmait difficilement. Que se passerait-il, si la bataille s'engageait alors qu'elle boudait? Quelles seraient ses réactions?

Ces mots, Irina les avait déjà entendus maintes et maintes fois. Égoïste, gamine nombriliste; la blonde connaissait parfaitement le refrain. On avait si souvent eu la délicatesse de lui rappeler qui elle était vraiment qu'Irina n'avait plus de compte à rendre à personne. C'était normal qu'elle boude et qu'elle hurle, elle n'était que la benjamine de la famille, l'éternel poids pour Tanya et Kate et cetera, et cetera ... Son masque était-il donc si parfait ? Irina se posait de très sérieuses questions. Elle n'avait qu'à se lever, à hocher un peu la tête et tout le monde se laissait prendre au jeu : oh voilà la petite poupée égocentrique, fuyons, fuyons. Les murs qu'elle avait elle-même érigés étaient donc-ils devenus impénétrables ? Plus personne ne la voyait vraiment ?

Il semblait bien que oui. Il semblait bien qu'Irina s'était perdue dans un gigantesque labyrinthe. Et ce labyrinthe n'était autre qu'elle-même. Alors quoi ? Fallait-il appeler au secours et quémander de l'aide. Non, Irina ne voulait pas. Elle ne voulait appeler personne à l'aide, qui la croirait ? Qui la plaindrait ? Et surtout question très importante : pouvait-elle retirer son masque ? Est-ce qu'Irina pouvait se risquer à être encore une fois vulnérable ... Elle l'avait fait une fois, pas besoin d'être un génie pour deviner avec qui et dans quelles circonstances. On savait tous comment ça c'était fini. Et Irina, plus que jamais brisée, et déchue, avait dû ramasser les quelques fragments de son cœur qui avaient résisté à la tempête. Et, plus que jamais honteuse, elle avait jeté ses même fragments au fond d'une boîte, se chargeant d'avaler la clé pour que personne ne la trouve. Alors c'était un trop gros effort que de lui demander d'aller chercher tout ceci au fond d'elle même.

Aussi, elle se passa une main dans les cheveux, histoire d'écarter les mèches blondes qui lui retombaient sur le visage et répondit à son aîné.

« Premièrement Kate, tu n'as jamais eu mon respect ou ne serait-ce qu'une once d'obéissance de ma part, et tu ne les auras jamais. Tu veux que je me réjouisse par chaque décision prise par Tanya et en plus faire comme si cela me concernait un tant soit peu ? Je trouve que tu pousses le bouchon un peu trop loin. Et tu sais quoi, que ça te plaise ou non, toi ou Tanya, je continuerai de te parler sur ce ton. Parce qu'après tout c'est tout ce que la petite poupée égoïste et nombriliste c'est faire non ? Au moins je t'accorde une chose, tu n'es pas aussi bête que tu en as l'air Kate, tu as réussi à voir qui j'étais vraiment. »

Apparemment, Irina avait poussé Kate dans ses retranchements. Sa soeur semblait être sur le point de lui sauter à la gorge. Qu'elle essaye seulement, Irina se ferait une joie de lui montrer qu'elle n'était plus à protéger. Et tant pis si Kate usait de son pouvoir sur elle, elle veillerait tout simplement à ne pas lui toucher la peau et puis la douleur physique ... Irina pouvait amplement la supporter.
Mais ce n'était pas sur ce terrain que Kate avait décidé d'attaquer, non ... Pour une fois, Kate avait choisi le terrain de prédilection d'Irina : c'était les mots qu'elle utilisait. Et ce furent bien eux, ses mots qui frappèrent Irina un à un. Kate pensait qu'Irina n'était pas reconnaissante envers Carlisle pour tout ce qu'il avait eu la bonté de faire pour leur famille. Kate pensait qu'elle, le petit monstre d'égoïsme, pourrait regarder ses sœurs se battre contre les Volturi et ne rien faire.

Irina en eut le souffle coupé, pendant quelques minutes, elle cessa même de respirer. Elle n'en avait pas nécessairement besoin, mais la sensation n'en restait pas moins désagréable. Sa soeur avait donc si peu d'estime pour elle. Car ses paroles n'étaient pas tombées dans l'oreille d'une sourde. Non, chaque mot, chaque intonation, avaient frappé Irina de plein fouet. Chaque phrases prononcées l'avaient littéralement transpercée, refaisant jaillir quelque chose à la surface. Kate aurait tout aussi bien pu la poignarder dans l'âme qu'elle n'avait pas et elle aurait eu tout aussi mal. Son masque parfait était en train de se briser, son armure devenait de plus en plus lourde à supporter. Que se passait-il ? Irina ne pouvait plus se cacher et face au regard inquisiteur de sa soeur, elle avait l'impression que ses blessures, ses cicatrices, les fissures de son âme s'étaient décuplés au centuple pour cette parfaite occasion. Elle ne voulait pas que Kate la voit ainsi, elle ne voulait pas que quiconque la voit ainsi. Kate n'en avait tout simplement pas le droit.

Cette décision prise, Irina reprit sa respiration. En un seul mouvement fluide, elle se retrouva en face de sa soeur, son visage à seulement quelques centimètres du sien. On allait voir jusqu'à quel point Kate croyait la connaître.

« Tu crois vraiment que je vais m'asseoir et vous regarder vous faire massacrer un par un, tu crois vraiment ? Que je vais laisser les Volturi vous faire du mal ? J'ai déjà perdu deux êtres qui me sont chers. Il me reste quoi à part Tanya et toi, hein ? Alors dis moi jusqu'à quel point je suis égoïste toi qui sait absolument tout ! Au point de contempler les cadavres de mes propres sœurs ! Au point de les regarder se battre et ne rien faire ! Dis moi tout Kate ! Jusqu'à quel point, je suis un monstre ? Jusqu'à quel point je te semble horrible. Réponds moi. Réponds moi ... »

Irina avait murmuré ses paroles, ses yeux ambrés fixés dans ceux si semblables de sa soeur. Étaient-elles devenues des étrangères l'une pour l'autre ? Si oui, depuis quand ? Irina voulait vraiment savoir. Elle voulait des réponses, elle les voulait maintenant. Et, se sentant complètement à bout de forces, Irina se laissa tomber sur les marches du perron, fixant ses pieds.

« Je n'ai plus rien, plus rien du tout. Mes deux seuls remparts sont toi et Tanya. Même si ça me tue de l'admettre, même si pour l'instant je vous hais. Je n'ai rien d'autre ... »

Ce n'était pas totalement vrai. Il lui restait encore ce plan stupide, cette idée qui avait germé dans son esprit pour faire payer Bella et Edward mais chut ... Sa soeur n'était pas obligée de le savoir.

Le beau visage de sa petite soeur ressemblait à un masque de froideur, cette sensation était même renforcée par la pâleur de sa peau. Kate se souvenait de la toute jeune vampire qu'elle était, il y a de cela plusieurs siècles, et qui alors arrivait encore à sourire. Bien sûr, Irina n'était pas la plus chaleureuse et la plus ouverte des soeurs Denali, c'était même tout le contraire, mais il n'y avait jamais eu cet immense gouffre entre la cadette et ses deux aînées. Quand donc ce fossé avait-il commencé à se creuser? Kate avait une petite idée sur la question. Si des siècles d'existence en tant que vampires n'avaient fait que rendre Irina un peu plus indépendante et froide, cela n'était rien comparé aux derniers mois qui s'étaient écoulés. La petite blonde s'était alors renfermée sur elle-même, éloignée davantage, pour au final devenir cette poupée froide et en apparence sans sentiments autre que de la haine. Et la cause principale de ce changement avait un nom : Laurent. Ce maudit vampire carnivore qui s'était présenté, un beau matin, prétendant ressentir de la curiosité et un certain attrait pour le mode de vie des Denalis. Tanya lui avait permis de s'installer avec eux, mais Laurent ne s'était jamais vraiment integré. La seule personne avec qui il semblait s'entendre était Irina, et lorsque celui-ci avait été tue -ce qui, aux yeux de Kate, ne représentait même pas une perte notable- Irina avait été dévastée. Kate s'en souvenait bien, elle avait été touchée de voir sa soeur si malheureuse. Mais elle avait songé que c'était un mal pour un bien, et qu'Irina finirait par s'en remettre. Elle ignorait si sa soeur pleurait encore Laurent, si elle vivait encore dans le deuil, mais depuis ce jour, elle n'était plus du tout la même. Ses défauts semblaient avoir atteint leur paroxysme, elle passait beaucoup moins de temps avec ses soeurs aînées, et ses paroles étaient devenues dures et acerbes. Elle était furieuse, mais contre qui exactement? Contre ses soeurs? Kate ne savait pas, et il était devenu difficile de discuter avec Irina pour en savoir davantage. La vampire ne se confiait jamais, et c'était là tout le problème.

Les paroles que Kate avait prononcé sous le coup de la colère provoquèrent une nouvelle salve de mots destinés à la blesser, ou à la pousser encore plus loin dans sa fureur, mais Irina laissa échapper quelque chose qui mit la puce à l'oreille de Kate, et lui fit refermer la bouche alors qu'elle s'apprêtait à riposter violemment. D'ordinaire, Irina n'approuvait pas ce que les autres lui disaient, surtout lorsque cela la concernait. Jamais elle n'aurait été dire que Kate avait raison en la traitant de telle ou telle chose, mais là.. elle fut de l'avis de sa soeur, ce qui sembla étrange à celle-ci. Mais elle n'eut même pas le temps de réfléchir à quoi que ce soit d'autre, car Irina semblait avoir été touchée par les dernières paroles de sa soeur. Le changement fut infime, difficile à voir, mais pas pour les yeux de Kate, qui voyait plus de détails qu'un oeil humain. Il y eut un léger, très léger écarquillement au niveau des yeux, puis son corps cessa complètement de se mouvoir, oubliant les précautions d'usage, avant de finalement s'approcher au plus près de Kate. Irina plongea son regard dans celui de sa grande soeur, qui ne bougea pas, toute trace de colère ayant disparue.. pour l'instant.
De son coté, Irina semblait ne plus pouvoir maintenir son masque orgueilleux en place. A voix basse, elle laissa échapper un flot de paroles, et derrière ces mots, Kate ne pouvait qu'entendre l'appel déchirant d'un coeur blessé. Irina pleurait encore la mort de Laurent, et tout comme ses deux soeurs, elle était encore meurtrie par la mort de Sasha qui remontait pourtant à plusieurs siècles. Elle n'avait peut-être pas peur, et elle était peut-être animée par une profonde haine, mais elle ne voulait pas qu'on pense qu'elle était assez égoïste pour laisser ses soeurs mourir. Kate la regarda se laisser tomber près d'elle, et songea qu'enfin, elle retrouvait un peu de sa petite soeur qu'elle aimait tant.

" Pourquoi faut-il attendre pour t'entendre dire ce genre de choses? Alors que c'est si simple. Pourquoi tu ne nous parles jamais? Tu ne crois pas que nous aurions une opinion différente de toi si nous avions ta présence à nos cotés un peu plus souvent? " dit-elle doucement. " Tu nous manques atrocement, surtout en ce moment. Alors nous avons peur, nous avons peur pour toi. Et tu ne fais rien pour nous rassurer. Nous sommes tes soeurs, tu es ce que nous avons de plus cher sur cette planète. Je mourrais pour toi, si tu me le demandais. Mais ne nous laisse pas seules, ne nous laisse pas affronter ce silence que tu as érigé autour de toi. J'ignore pourquoi tu t'es battit une forteresse autour de toi, mais nous en souffrons beaucoup. " avoua-t-elle.

Et, mue par une impulsion aussi soudaine qu'inhabituelle, elle prit sa soeur dans ses bras, la serrant contre elle. Le corps glacial de sa soeur contre le sien, elle formula quelques excuses à voix basse.

" Je suis désolée Irina. Je sais que je ne suis pas la grande soeur que Tanya et toi mériteriez d'avoir. Je n'ai pas l'étoffe d'une leader, à part crier sur tout le monde je ne sais pas faire grand chose. Je n'ai pas à te parler comme ça. Tu es ma petite soeur, et je t'aime. Si tu as besoin de quoi que ce soit, je serais toujours là pour toi. C'est tout ce dont je suis capable. Je veux juste comprendre, mais je n'y arriverais pas si tu ne m'aides pas. Dis moi pourquoi tu nous en veux autant. Tu n'aimes plus les Cullens? Tu es fâchée parce que nous nous sommes mises en danger en venant ici? Expliques-moi. "

Oh comme Irina avait honte. Elle ne savait littéralement plus où se mettre. Si elle ne levait pas la tête, ce n'était pas parce qu'elle n'en avait plus la force ni le courage, non. Si elle fixait ses pieds, c'était parce qu'elle se sentait beaucoup trop honteuse pour faire autre chose. Presque indigne de sa propre personne. Elle n'arrivait pas à croire qu'elle venait juste d'avoir ce genre de réaction. Elle qui se vantait d'être un masque parfait hypocrisie en toute occasion. Cela prouvait bien que même le plus épais des matériaux pouvait se briser. Irina se sentait presque de nouveau détruite, presque sale. Elle ne voulait plus se laisser dominer par de tels instincts, non les seuls instincts qui devaient l'animer étaient ceux de vengeance et de haine. Elle devait devenir ce monstre vivant qu'il craignait tous, un soldat sanguinaire qui était capable de marcher au pas, de tuer et de massacrer sans jamais se retourner. Mais Irina n'était pas ce guerrier en armure, elle était juste une petite fille perdue dans un costume trop grand. Pourtant elle essayait, de toutes ses forces, elle essayait. Elle arrivait même à donner l'illusion à certains qu'elle était grande.
Mais Kate avait tout brisé.

Au revoir espoirs de désespoir et de vengeance ...

Tout était fini. Kate avait vilement piétiné tout ceci, et elle se retrouvait devant la petite princesse sans couronne qui tremblotait, cachée au fond d'un placard. Irina ne savait pas très bien si elle devait adorer sa soeur à cet instant ou bien la haïr. Etait-ce une bonne idée d'aller remuer les tréfonds de son âme pour chercher les raisons du pourquoi ? Les raisons du comment ? Irina ne voulait pas en parler. Pas du tout, elle ne savait que rien de bon ne pouvait sortir d'une discussion telle que celle là. Elle se mettrait sûrement à hurler et à vociférer, en clamant qu'elle avait mal, affreusement mal. Son histoire était digne de n'importe quelle tragédie grecque, elle se voyait parfaitement bien dans son rôle : à pleurer un amant disparu, complotant contre les uns, déliant les autres, amusant les spectateurs. Sauf que c'était la vraie vie, et le seul spectateur d'Irina, c'était elle-même. Et comme tous les êtres, elle était son pire critique et à présent elle n'hésitait pas à se montrer du doigt et à se moquait d'elle même. Irina poussa un soupir, la vie était vraiment une garce des fois.

Et Kate semblait vouloir les connaître les raisons du pourquoi. Irina ferma un instant les yeux et lorsqu'elle les rouvrit ce fut pour être confronté à l'étreinte glacé de sa soeur. Aussitôt, Irina posa sa tête sur l'épaule de Kate : ce geste lui semblait tellement naturel ... Elle aurait dû être répugnée par cette étreinte mais honnêtement, elle n'avait plus la force d'être méchante, plus la force d'être cruelle. Kate avait en parti gagné ... Irina déposait les armes pour l'instant, peut être qu'un semblant de vérité éclaterait peut être. Elle n'en savait rien. Elle ne savait plus rien.
Puis Kate lui posa la question, est-ce qu'elle aimait toujours les Cullens ? Oh bien sûr, Irina aimait toujours les Cullens. Elle avait tout simplement envie d'arracher la jugulaire de Bella à chaque fois qu'elle la voyait mais à part ça tout allait bien dans le meilleur des mondes ! Irina eut un sourire face à sa propre bêtise. Mais elle ne pouvait pas lui dire ... Elle ne pouvait le dire à personne. Quelles seraient les réactions de ses sœurs ? La réaction de Kate ? Sûrement lui dire qu'elle avait totalement perdu la tête, ou peut être qu'elle lui demanderait de partir sur le champ. Est-ce qu'Irina était capable de s'exiler. Oui, si c'était la seule condition pour pouvoir avoir ce qu'elle désirait le plus au monde. Mais Irina ne pouvait pas le dire à personne, aussi elle releva légèrement la tête et dit à sa soeur :

« Et tu voulais que je te dise quoi Kate ? Tu voulais que je te dise quoi ? ... Tu savais que j'étais mal, tu savais que je n'allais pas bien. Ce n'était pas si dur que ça à deviner. Et cela n'a rien à voir avec les Cullens, Carlisle est notre ami et je lui serai éternellement reconnaissante. Le problème remonte a bien plus longtemps ! Tu le sais, je le sais, Tanya le sait, tout le monde le sait ! Pourquoi quand pour la première fois de toute ma vie il m'arrivait quelque chose de bien, mes deux sœurs, les deux mêmes qui m'avaient promis de toujours être là pour moi, se sont aussitôt fermées ? Pourquoi ? Il était mauvais pour moi et alors ? Je n'avais pas besoin que vous approuviez ce que je faisais ou pas, j'avais juste besoin que vous soyez là pour moi un point c'est tout ... Et maintenant il est parti ... Et vous, vous avez continué de faire comme si rien ne c'était passé ! Je me suis retrouvée face à un mur ... Tu voulais que je fasse quoi ? Moi aussi, je me suis cachée derrière un mur. Et je préfère rester derrière ce mur plutôt que ... Plutôt que ... Je sais pas Kate, j'étais complètement perdue, je voulais du réconfort. C'est tout ce que je voulais ... »

Elles auraient dû savoir qu'Irina aurait eu mal, que peut importe ce qu'il avait fait ou ce qu'il avait dit, Irina s'en moquait : elle l'aimait. Etait-ce si dur à comprendre ?

Être un vampire apportait beaucoup, beaucoup d'avantages. Il y avait bien sûr l'immortalité, qui restait un bien pour un mal si on considérait que malgré la très grande difficulté à pouvoir mourir, il fallait survivre quand tous les êtres que nous avions aimé de notre vie mourraient les uns après les autres. C'était une épreuve que chaque vampire traversait, plus ou moins bien. Une fois devenu vampire, il y avait la force, la rapidité, l'agilité, autant que capacités physiques qui s'en trouvaient décuplées. Il y avait l'ouie, la vue, l'odorat, il y avait la sensation de toute puissance. Être un vampire signifiait être tout en haut de la chaîne alimentaire. Être au dessus de tous. Avoir atteint la perfection d'un monstre conçu pour tuer. Mais être vampire signifiait aussi être capable de conserver un visage totalement, complètement, imperturbable. La peau d'un vampire, aussi dure que de la pierre, les traits de son visage, ses yeux, sa bouche, ses sourcils, absolument rien ne laissait transparaître la moindre émotion, si le vampire n'y mettait pas du sien. Les vampires savaient à la perfection imiter les mimiques des humains, mais ils étaient également capable de ne plus bouger d'un cil, ce qui faisait qu'il était plus difficile, voir impossible, de savoir à quoi ils pensaient.
Kate coula un regard vers Irina, mais celle-ci avait le visage de marbre, et elle fut incapable de savoir ce qui pouvait traverser l'esprit de sa soeur. Elle ne put qu'essayer, encore et encore, de la comprendre, de comprendre ce petit être à l'apparence si fragile, au coeur brisé, qu'elle tenait entre ses bras. Mais Irina n'était pas loin de la vérité, toute à l'heure, lorsque, poussée par la colère, elle lui avait vilement jeté au visage qu'elle était stupide. Kate n'était pas aussi maligne que Tanya, par exemple. Elle réagissait plus à l'instinct qu'autre chose. Elle n'était pas bête, mais elle n'était pas du genre à se poser des questions sur le pourquoi du comment, et cela avait été sa plus grande erreur concernant sa petite soeur, de toute évidence. Il était plus que temps qu'elle répare cela. Irina posa la tête sur l'épaule de sa soeur, et Kate y vit un signe encourageant. Pour une fois, elle allait cesser de hurler à tort et à travers, et prendre le temps d'écouter, de comprendre. Elle allait se comporter en grande soeur.

Elle ne broncha pas lorsqu'Irina lui fit part de sa profonde déception. Il est vrai qu'après la mort de Laurent, il aurait fallu être aveugle, sourd, ou stupide, ou les trois à la fois, pour ne pas se rendre compte qu'Irina souffrait le martyr. Mais Kate s'était dit que le chagrin passerait, et qu'Irina se remettrait d'une perte aussi dérisoire. Elle savait que cela prendrait du temps, parce que quand on est vampire, il est difficile de se remettre d'une blessure aussi profonde. Cependant, Irina ne se remettait pas, et cela avait finit par agacer Kate, qui de toutes manières n'avait jamais aimé Laurent. Et comme Irina le lui fit savoir, là était la clé du problème. Il ne s'agissait pas d'être venu à Hanover porter secours aux Cullens, il ne s'agissait pas de devoir affronter les Volturis, pas uniquement. Irina avait profondément souffert de voir ses deux soeur absente pour partager son bonheur. Kate et Tanya n'avaient jamais aimé Laurent, c'est un fait, et Irina aurait peut-être voulu qu'elles soient un peu plus indulgentes envers l'homme qu'elle avait choisi. Il est vrai qu'elles n'avaient jamais éprouvés de remords ou de chagrin face à cette mort. Irina l'avait bien vu, et le peu de réconfort que ses soeurs lui avaient procurés s'était vite dissipé, étant donné qu'aucune des deux ne considéraient cela comme grave. Irina avait affronté sa douleur seule, Kate le comprenait maintenant. Alors que tout ce qu'elle aurait souhaité, tout ce dont elle avait besoin, c'est à dire du soutien, elle ne l'avait pas eu.

Kate redressa la tête.

" Ce mur entre nous, ce n'est pas toi qui l'a dressé. Tu t'es contenté d'y rajouter de l'épaisseur, pour te défendre et te protéger. C'est Tanya et moi, les seules fautives. " chuchota-t-elle avec une profonde amertume dans la voix. " J'ai compris."

Elle relâcha sa soeur, pour tourner la tête vers elle et pouvoir la regarder dans les yeux.

" C'est vrai, nous n'avons jamais aimé Laurent. Lorsque Carlisle nous a appris qu'il faisait parti du clan de James, et que celui-ci avait cherché à tuer Bella.. nous avons eu peur. Tu sais que je n'ai rien contre les carnivores, après toutes ces années durant lesquelles nous nous sommes nourris de sang humain, je serais bien mal avisée de les juger. Mais ce Laurent.. avait côtoyé pendant si longtemps un meurtrier. James était un redoutable chasseur, qui aimait jouer avec ses proies, et Laurent l'avait quand même suivi pendant près de trois siècles. Il avait beau prétendre vouloir changer, être curieux de notre mode de vie, nous avons douté, je l'avoue. J'avais peur qu'il nous cause des problèmes. J'avais peur qu'il t'entraîne sur une mauvaise pente. J'avais peur qu'il te fasse souffrir. Et quand nous avons vu à quel point tu tenais à lui.. Ton amour pour lui semblait si fort, que nous avions peur. Si jamais Laurent n'avait pas supporté le régime végétarien, et qu'il se soit décidé à repartir.. tu aurais pu vouloir partir avec lui! Comprends-moi Irina, en temps normal, j'aurais été ravie que tu sois amoureuse. Je n'ai jamais connu ça, je ne sais pas ce que cela fait d'aimer un homme aussi fort! Que tu partes avec l'homme que tu aimes aurait été une déchirure, mais je m'y serais faite. Mais j'avais peur qu'avec lui, s'il gardait ses appétits pour le sang humain, les choses prennent une tournure dramatique. J'avais peur pour toi. J'avais peur pour chacun de nous." Elle secoua la tête. " Alors oui, j'ai rejeté la présence de Laurent de toutes mes forces. Je l'ai haï, de me prendre ma petite soeur que j'aimais tant. Et lorsque les Quileutes l'ont tués, j'étais heureuse qu'il soit mort, parce que comme ça, tu allais rester avec nous, nous resterions unies, je ne te perdrais pas. J'ai volontairement ignoré ta souffrance, en me disant que ça allait passer.. alors que j'avais été témoin de ton bonheur, que j'avais également ignoré.. Me pardonneras-tu un jour d'avoir été une aussi mauvaise personne, une aussi mauvaise soeur? Je te présente mes excuses, pour n'avoir pas cru en Laurent, pour n'avoir pas cru en ta douleur, et pour ne pas avoir été là. Maintenant il est trop tard. Et si Jane ou Aro arrivait pour me tuer, je ne suis pas sûre d'avoir la force de me défendre. La mort me semble douce, comparé à ce que je suis capable de faire subir à ma propre soeur, juste à cause d'un vampire que je n'aimais pas.. "

Regrettant amèrement ses actes passés, Kate s'abîma dans la contemplation des arbres secoués par le vent, se maudissant d'être aussi minable comme personne, comme vampire, comme soeur.

Irina était tombée bien bas : se plaignant à sa soeur, vociférant enfin à l'encontre de tout ceux qui selon elle, l'avait mérité et livrant un peu d'elle-même, ses secrets, ses douleurs et ses peines. Car oui, on pouvait parler de douleur, on pouvait parler de souffrance. L'exercice était très difficile pour la blonde. Voilà pourquoi elle ne jouait au jeu de la vérité que très rarement. Pour prendre une image frappante, on aurait pu comparer sa situation à une opération chirurgicale banale : c'était comme d'ouvrir la cage thoracique à n'importe quel humain et plonger goulument ses doigts épais dans son cœur. Sans l'avoir anesthésié avant, sans l'avoir endormi. Dire que cela faisait mal était un doux euphémisme. Mais que pouvait faire la blonde à part continuer de déverser un flot de vérités vraies et espérer que sa soeur les avale sans poser de question ? Rien. Elle ne pouvait rien faire, elle était coincée.

Mais Irina ne voulait pas d'excuses, elle ne voulait pas de pitié. Elle ne voulait pas entendre Kate dire que c'était de leur faute, à elle et à Tanya, si la communication ne passait plus. Non. C'était ses propres choix, ses propres décisions. Personne ne l'avait forcée à faire ce qu'elle avait fait. Elle le faisait un point c'est tout. Pourquoi ? Parce qu'elle avait choisi la voie du silence plutôt qu'une autre. Voilà pourquoi c'était particulièrement agaçant d'entendre Kate retracer son parcours, lui dire ce qu'elle savait déjà.

Et surtout de prononcer

son prénom. Irina elle-même ne le faisait plus. Par peur ? Sûrement. Par d'admiration ? Pas vraiment. Par deuil ? Oui, très certainement. Kate parlait de jalousie, de sang et d'amour. Irina aurait voulu qu'on ne lui parle plus jamais de ces trois là. Le premier était son lot quotidien, elle avait besoin du second pour vivre et le troisième ... l'avait-elle eut un jour ? Irina ne voulait pas y penser, elle ne voulait pas ressasser ces souvenirs là. Pourquoi ? Pour penser à toutes les choses qu'elle lui avait dites et qu'elle n'avait jamais confiées à personne d'autre ? Tous ses secrets, tous ses rêves. Ils étaient tous brisés. Ou encore, penser à la façon si particulière dont il la tenait ? Comment il avait l'habitude de l'embrasser ? Comment est-ce qu'elle avait l'impression de littéralement mourir et de doucement renaître sous chacune de ses caresses, sous chacun de ses baisers ... Cela n'aurait jamais dû être aussi bon, rien n'aurait jamais dû être aussi bon. Et pourtant, ça l'était ... Sans compter cette façon particulière de dire son nom. Mais non ! Pourquoi ressasser de tels souvenirs ?

Cela ne servait à rien. A rien. A part faire véritablement voler son masque en éclat et la montrer sous son véritable jour. Elle n'était pas une poupée au teint de porcelaine et à l'impeccable toilette. Elle était Irina Denali : son teint était morne, elle avait des fissures au coin des yeux, la peau s'effritait même par endroit, révélant des trous béants. Au niveau de sa poitrine, une excroissance avait poussé : c'était son cœur rompu, dont le plus gros morceau tentait vilement de s'échapper. Et sa toilette n'avait rien d'impeccable, elle était trouée par endroit, rongée par les souris du désespoir.

Oh comme elle le haïssait à présent ! Maintenant qu'elle était seule, l'horreur la frappant de plein fouet, elle le détestait avec tout ce qui lui restait. Pourquoi ? Il l'avait maudite. Il avait posé sa marque partout sur elle et en elle : dans son corps, dans son cœur, dans sa tête. Pas moyen de lui échapper, aucun répit pour elle. Et le comble ... C'est qu'elle ne pouvait pas dormir. Aucune échappatoire, non, elle devait souffrir lentement de son sceau silencieux. Il était en train de la ronger de l'intérieur. Elle lui avait tout donné, ou plutôt non ... le vil profanateur, ce voleur de tombe, cet hérétique ! Il lui avait tout pris ! Elle était reine avant, elle avait un royaume sans borne et sans limites. Il avait tout réduit en cendre, chassé ses fidèles, volé ses richesses et avait même eut l'audace de mourir avec le butin ... Mais Irina était en vie : gisante, pantelante sur des cendres, elle vivait. C'était elle seule qui devait affronter tout ceci, et elle seule qui devait rendre des comptes à ses sœurs.

Si c'était à refaire, elle écarterait très certainement Laurent de sa route. Égoïste ? Oui, car ces quelques mois de bonheur ne vaudraient jamais une éternité de souffrance.
Jamais.

« Ne t'excuse pas Kate. Je pense que je suis incapable d'accepter tes excuses pour le moment. Et pour te répondre ... Je savais parfaitement qui il était et ce qu'il avait fait. C'était juste ... Différent je suppose ? Tu veux savoir pourquoi ? Parce que pour la première fois depuis trop longtemps, quelqu'un voyait enfin qui j'étais. Je n'avais pas besoin de faire semblant d'être quelqu'un d'autre. Avec Sasha, je devais être celle qu'il fallait protéger d'elle même, avec Tanya et toi, je dois être la sale petite gamine égoïste qu'il faut couver. Et pour le reste du monde, je ne suis qu'un monstre répugnant. Je n'avais pas l'impression de devoir faire quelque chose pour lui plaire. J'étais ... J'étais tout simplement ! J'étais vraiment moi pour la première fois depuis ... Depuis toujours je suppose. Je ne sais pas si c'était de l'amour, je ne sais pas si je l'aurais suivi jusqu'au bout du monde. Mais pour la première fois, depuis des décennies d'existence, quelqu'un me regardait enfin comme si j'étais la plus belle chose de l'univers, comme si j'étais ce qui lui permettait de vivre. Et ce, sans être obligé de le faire ... »

Elle n'avait pas prévu de se justifier ainsi, mais là encore une mystérieuse entité semblait avoir pris possession de son corps. La vérité ? Sûrement ... Enfin si elle ne craignait pas de partager ce corps-ci avec une autre bête plus féroce. Irina n'aimait pas la tournure que prenait le discours de sa soeur. Elle ne voulait pas la voir ainsi, elle voulait retrouver la fougueuse et la vaillante Kate. Irina se blottit tout contre sa soeur, essayant de se fondre en elle.
C'était elle qui était faible, c'était elle qui avait besoin de sa soeur, pas l'inverse.

« Je t'interdis de dire ça ! Si les Volturi nous attaque, soit bien certaine que ni Jane, ni Aro ne touchera un seul de tes cheveux. Ils devront d'abord me passer sur le corps. »

Et lorsqu'Irina disait cela, elle sous entendait mort ou vif.

L'Amour.
Le véritable Amour, celui avec un grand A. Celui qui vous donne envie de vivre, et de mourir. Ce besoin pressant d'être avec celui qu'on aime, de le voir, d'entendre sa voix, de le toucher. Cette envie de l'embrasser, cette adoration pure et simple pour cette personne. L'Amour. Kate ne connaissait pas ce sentiment. Bien sûr, elle aimait ses soeurs, d'un amour profond et sans conditions. Elle aimait Tanya, elle aimait Irina. Elle aimait aussi Carmen et Eleazar. Elle aimait les Cullen. C'était bien de l'amour qu'elle ressentait pour tout ceux qui l'entouraient. Mais ce n'était pas le même amour que celui que l'on ressent pour son âme soeur. Au fil des années, elle avait pu observer ce qu'était l'Amour. Il lui suffisait de regarder Carlisle et Esmé, Emmett et Rosalie, Alice et Jasper, et plus récemment, Edward et Isabella. C'est avec beaucoup de curiosité que Kate s'amusait à les contempler, heureux et épanouis dans leur relation de couple, aimant l'autre autant que cela soit possible. Elle savait que l'Amour s'exprimait de différentes manières. Carlisle et Esmé : le couple aimant et posé, ayant toujours un geste tendre pour l'un pour l'autre, traversant les années sans heurts. Rosalie et Emmett, le couple explosif, dont l'amour physique avait démoli une dizaine de maison, ce qui avait bien fait rire Kate. Jasper et Alice, l'amour complice, la tendresse et le soutien, un couple assez similaire à celui de Carlisle et Esmé. Et Isabella et Edward, l'amour à la fois destructeur et salvateur, la nécessité d'être avec l'autre. Kate avait eu tout le loisir d'apprendre ce qu'était l'Amour.. mais elle ne l'avait jamais vécu. Et elle le vivait très bien. Elle ne souhaitait pas tomber amoureuse. Lorsqu'elle était humaine, elle n'était pas du tout attirée par la vie de couple, et ses cinq siècles d'existence en tant que vampires ne l'avait pas fait changer d'opinion. Non pas qu'elle soit réfractaire à l'idée même d'aimer et d'être aimée, mais cela ne lui était pas du tout nécessaire pour être heureuse. Vivre en compagnie des gens qu'elle aimait, ses soeurs, sa famille, lui suffisait. Bien sûr, si un jour elle tombait amoureuse, elle ne repousserait pas ce sentiment, mais elle ne comprenait pas quel était le besoin d'aimer? Pourquoi avait-on besoin de cet Amour?

Citation :: Pourquoi S'Aimer?

Pourquoi y croire.
Pourquoi y penser.
Pourquoi le vouloir.
Pourquoi l'oser.

Parce que dans ce monde et cette vie de misère
Il donne un espoir de bonheur et de joie.
Parce que dans nos coeurs fragiles d'une douceur amère
Il donne une raison à notre si belle foie.

Pourquoi lui sourire.
Pourquoi lui montrer.
Pourquoi l'entretenir.
Pourquoi l'idolâtrer.

Parce que dans les bons comme les pires moments,
Il donne une envie de vivre et d'apprécier.
Parce que dans son feu des plus ardents
Il donne l'espoir de se voir récompenser.

Pourquoi en goûter.
Pourquoi en jouir.
Pourquoi le louer.
Pourquoi le maintenir.

Parce que nous les hommes nous en avons besoin,
Pour pouvoir déguster son si beau plaisir.
Parce que sans lui, c'est l'impression d'un vide au loin,
Que seul lui peut combattre et détruire.

Pourquoi s'en nourrir.
Pourquoi s'en abreuver.
Pourquoi s'investir.
Pourquoi s'aimer.

Parce qu'au fond de nous, il nous donne faim,
De tout ce qu'il pourrait nous apporter.
Parce qu'après tout, lorsque sa flamme brûlante nous rejoins,
Il nous berce et sait nous faire danser.

- Marc Mezei -

Irina refusa ses excuses d'un ton catégorique et.. douloureux. Puis elle prit le temps de lui expliquer ce qui avait fait qu'elle était tombée amoureuse de Laurent. Si Kate avait ressenti ce qu'on éprouve lorsqu'on aime, elle aurait pu comprendre, mais ce n'était pas le cas. Aussi se sentait-elle vraiment ignorante, et impuissante. Elle se sentait stupide, et pour la première fois, elle se sentit un peu jalouse de ne pas avoir d'homme à aimer. Elle se sentit inférieure à tous les couples, qu'ils soient vampires ou non, et les envia, pendant un court instant, avant de se souvenir de ce qu'Irina traversait, ou avait traversé, et elle songea que le risque d'être brisée était bien trop grand, lorsqu'on aimait, et que finalement, elle préférait être seule. Elle ne pouvait concevoir qu'aimer rendait plus fort, puisque perdre l'être aimé rendait si vulnérable. C'était un trop grand risque à prendre, un risque qu'elle n'était pas prête à encourir. Un jour, peut-être..
Se concentrant à nouveau sur les paroles d'Irina, Kate fronça les sourcils. Elle avait du mal à croire que sa petite soeur ait pu ressentir de telles choses, sans jamais en avoir parlé, ou sans jamais avoir cherché à prouver le contraire. Mais elle ne dit rien, laissant à sa soeur le temps d'exprimer tout ce qu'elle avait sur le coeur. En la sentant se blottir contre elle, se réfugiant tout contre le corps de glace de son aînée, Kate se sentit emplie d'une toute nouvelle mission : aider et protéger sa soeur, tant que celle-ci en avait besoin. Elle prit son temps pour trouver ses mots.

" Je comprends.. et en même temps, je ne comprends pas. Pourquoi tu ne nous a jamais dit.. pourquoi t'es tu laissé enfermer dans le rôle de la vampire tête à claque? Si tu savais le nombre de fois.. Je ne comprends pas du tout pourquoi tu ne nous a pas dit la vérité. J'ai peut-être mal agi concernant Laurent, mais je refuse de penser que j'ai été une mauvaise soeur pendant cinq siècles, au point de te rendre telle que tu es. Je t'avoue que je t'en veux de ne pas avoir pris la peine de nous dire clairement à quel point nous nous trompions. Tu aurais même pu nous crier dessus, je pense que nous aurions compris que tu n'étais plus une enfant.. et au lieu de ça.. Quel gâchis. " soupira-t-elle. " Donc, tu te sentais toi-même, avec.. lui. " poursuivit-elle. " J'ignore ce que cela veut dire. J'ai toujours été moi-même, aussi loin que remonte mes souvenirs. Mais écoute.. je suis ta soeur. Je ne veux plus que tu agisses comme "la sale petite gamine qu'il faut couver", puisque ce n'est plus ce que tu es. Je ne te traiterais plus comme tel, de mon coté. Et si jamais tu agis à nouveau comme un bébé capricieux, je peux te promettre que tu auras de mes nouvelles. Je suis prête à t'écouter, mais pas à te supporter si tu fais n'importe quoi. "

Elle passa sa main dans les cheveux longs, et doux, de sa cadette.

" Ne t'en fais pas. Je n'étais pas sérieuse. Je ne mourrais pas. Bien sûr, je m'en veux un peu, d'avoir été aussi méchante. Mais je me console en me disant que tu n'es pas toujours très gentille toi non plus, petit monstre. " plaisanta-t-elle en ébouriffant les cheveux de sa petite soeur. " Nous allons nous battre Irina. Et je veux que tu sois à mes cotés, parce que nous allons botter le cul de ces crétins en robe noire, et venger Sasha.. et alors, nous pourrons nous reconstruire. Tu vas voir. " assura-t-elle, un léger sourire aux lèvres, le regard fixé vers l'horizon, le coeur emplit d'une nouvelle force, rien qu'à l'idée de s'être un peu rabibochée avec sa soeur bien aimée.

Pourquoi ? Pourquoi ? Pourquoi n'avait-elle rien dit ? Kate avait raison sur toute la ligne. A aucun moment elle ne s'était manifestée, pas une seule fois elle avait exprimé son désarroi. Elle s'était contentée de faire ce que tout le monde attendait d'elle. Blottie tout contre sa soeur, Irina médita un instant cette question, un silence pesant s'installant entre les deux sœurs. En vérité, c'était une question que la blonde s'était déjà posée, dans ces brefs instants où il était récurrent que l'on doute et qu'on se demande si on a a pris la bonne décision. Sauf que pour la jeune vampire, cet instant tant redouté s'était produit une seule et unique fois. Juste après l'annonce de la mort de Laurent. La minute avait été glaciale, presque mortelle. Une minute seulement ? Non pour elle, cela avait été plus qu'une minute, une éternité. Une éternité à se dire qu'il n'y avait plus rien pour elle, un instant de toujours à se demander à soi-même pourquoi ? Une seconde d'une vie à prendre une lourde décision. La décision de se cacher de tout et de tous. Etre soi-même ne rapportait rien, rien à part des monceaux de souffrance. La balance semblait bien déséquilibrée aux yeux d'Irina. Et puis il fallait ajouter à cela la facilité et la lâcheté.

C'était facile d'ignorer tout le monde, facile de fuir, facile d'agir selon l'étiquette qu'on lui avait déjà collée. Plus de souffrance, adieu réflexion inutile, bonjour paix et tranquillité. Enfin ... On parlait ici d'une paix et d'une tranquillité relative. Car Irina, comme tous les autres qui choisissaient cette voie, n'était pas exempte de la culpabilité. Bien entendu, elle se fichait complètement du regard et des dires des autres. Non, c'était son propre esprit fatigué qui la torturait. C'était sa vérité qui désirait sortir, elle qui tentait de s'échapper en émettant des cris silencieux, elle qui tentait de se frayer un chemin vers la lumière en empruntant toutes les voies possibles. Voilà le revers de la médaille, c'était ça le lourd prix à payer, le dû qu'elle devait verser à un diable invisible chaque nuit sur un fond de Lune bleu.

Irina ne savait comment expliquer tout ceci à sa grande soeur. Elle doutait que qui que ce soit puisse comprendre sa position. A moins bien sûr, d'avoir été à sa place. Oui ... C'était ironique lorsque l'on y pensait, c'était seulement après avoir effleuré la porte des Enfers de sa bouche parfaite, qu'elle avait compris ce qu'était le vrai bonheur. Trop tard pour le chercher, trop tard à présent pour s'en délecter. Aaaah ... Sa vie, non pardon, son existence aurait fait un si beau poème. Et un Charles Baudelaire aussi torturé qu'elle n'aurait point fait des odes à une passante mais à une Irina. Mais elle s'écartait du sujet ... Aussi, elle prit une profonde inspiration et répondit à Kate.

« C'est plus simple de fuir que de faire face aux vrais problèmes. Je crois que c'est pour cette raison que je n'ai rien dit. Mais ne t'inquiète pas, j'essaierai de me taire moins souvent à l'avenir. Je ne peux pas te promettre que je viendrais te voir dès que quelque chose va mal ou quand toi et Tanya vous allez prendre une décision qui ne me convient pas ... Je vais tenter de moins me comporter comme une garce. »

Sa voix ressemblait presque à un murmure, comme si elle avait honte de révéler son propre secret. Un secret chéri pendant tant d'années, sa petite recette personnelle ... Non pas pour vivre, mais pour survivre. Et, à la réflexion, il ne lui restait plus beaucoup de temps. Elle jetait au feu l'éternité et l'idée complètement insensée d'un bonheur futur. Une fois qu'elle se serait vengée, plus rien n'aurait d'importance. Elle se laisserait alors lentement couler, cherchant un moyen de mourir. Peut-être aller s'allonger dans la neige et ne plus se nourrir ? Faire naître un feu des plus brûlants dans sa gorge et le laisser lentement la consumer. Elle ne voyait pas de mort parfaite, elle ne voyait pas la douleur : elle voyait simplement une fin. Pure, simple, magnifique, le néant.
Mais l'heure n'était pas au Spleen et aux hymnes scandaleux sur sa propre perte, elle avait d'abord des choses à accomplir. Des choses de la plus haute importance.

« On va se battre, hein ? On ne peut pas éviter le combat ... Je suis certaine qu'on trouvera un moyen pour contrer les Volturi mais en attendant ... »

Elle releva la tête vers sa soeur et lui accorda un maigre sourire. En attendant pensons à autre chose. Ou alors, ne pensons tout simplement pas ! Il ne leur restait que quelques moments d'insouciance avant leur grand moment, avant son grand moment. Le ciel était toujours sombre avant l'aurore, hein ? Elles se trouvaient du mauvais côté de la barrière, profitant maintenant de leur aurore. Et malheureusement, on pouvait déjà apercevoir des nuages dans leur horizon. Irina ne savait pas ce qui allait se passer, et même, elle préférait l'ignorer. Une chose certaine : elle allait avoir besoin de ses sœurs jusqu'à ce qu'elle en décide autrement. Et dans le cas contraire ? ...
Personne ne pourrait plus la sauver ... Personne.

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