Au moment où elle se transforma toutes ses émotions furent découvertes aux membres de la meute. Sa peur et sa panique étaient tout particulièrement mises en avant alors qu'elle sentait le sol à la fois dur et crissant sous ses pattes. Mais elle n'y faisait pas attention. C'est cette force incontrôlable qui la poussait en avant, cette sensation qui vous laisse penser que quoi que vous fassiez, vous arriverez trop tard, même si vous y mettez toutes vos forces. Mahala bifurqua sur la droite en sautant par-dessus un cerf, sans le toucher. Non elle ne chassait pas à ce moment-là. Elle se rendait à Hanover. Les coups de feu résonnaient toujours à ses oreilles ... elle espérait grandement les avoir rêvés et que lorsqu'elle arriverait, Cameron soit derrière son comptoir sain et sauf, un sourire tendre accrochés aux lèvres. Au fond d'elle, la jeune louve entendait parfaitement les membres de la meute se demander ce qui se passait, pourquoi était-elle si effrayée, pourquoi ne revenait-elle pas vers la Réserve ... mais elle n'avait pas le temps de s'expliquer. Elle voulait se tromper, il vaut mieux parfois demander à se faire pardonner plutôt que demander une permission qui arriverait trop tard. Juste avant de sortir du couvert des arbres, Mahala reprit sa forme humaine et avec rapidité, revêtis sa robe en laine, se fichant royalement des passants qui la regardaient dans son dos, en avisant ses pieds nus. Elle tourna à l'angle de la rue et bientôt arrivait à la boutique dont elle ouvrit la porte d'un mouvement brusque. À peine fut-elle entrée dans la pièce qu'une odeur métallique lui vint aux narines ....il ne fallait pas s'appeler Einstein pour deviner que c'était du sang. Un grondement sourds s'échappa du tréfonds de sa gorge lorsqu'elle vit sa moitié allongée au sol, au milieu d'une flaque écarlate. Non ... ce n'était pas possible ... non. La jeune femme passa l'une de ses mains sous sa nuque pour le redresser et le jeune Rafferty cracha du sang, respirant avec difficulté. Il la regarda ensuite, comme s'il ne la reconnaissait pas et les larmes lui montant aux yeux, Mahala attrapa son téléphone portable posé sur le comptoir en composant le numéro d'une ambulance. Ses doigts tremblaient tellement qu'elle faillit en lâcher le téléphone lui-même. Dès qu'une voix féminine prit la parole, Mahala répondit avec brusquerie en essuyant ses larmes

« Je vous en prie, j'ai besoin d'une ambulance, mon ami s'est fait tirer dessus et il saigne abondamment ! Je vous en supplie faite vite ... à la boutique Rafferty's au centre d'Hanover ... vite ... »

Le téléphone lui échappa des mains et elle prit le jeune homme dans ses bras. Non ce n'était pas possible, il allait vivre ... ils avaient vécu que peu de moments ensemble ... ils pouvaient en vivres encore tellement ... il ne pouvait pas l'abandonner maintenant, pas maintenant qu'elle l'avait trouvé ... si elle le perdait.... elle ne s'en remettrait pas, c'était certain.

« Cameron, tu m'entends ? Cameron ... réveille-toi ... ne me laisse pas. »

La vision de la jeune louve se brouillait de plus en plus. Elle mit un petit moment à se rendre compte que c'était à cause de ses propres larmes qui avaient décidé enfin de s'échapper de ses yeux. Ne s'en préoccupant pas, elle caressa la joue de l'homme qu'elle aimait qui la regardait. Elle n'eut pas besoin de se pencher pour entendre les mots qu'il murmurait ;

« Je ... t'aime »
« Moi aussi je t'aime, à jamais. »

Un sourire éclaira un bref instant le visage de son bien aimé. Jamais il ne lui parut si serein et si paisible. Ce même sourire accroché aux lèvres, la petite étincelle de vie qui brillait dans ses yeux se ternit soudainement. Il venait de passer dans l'autre monde, celui où les âmes quittent leurs corps pour se rejoindre dans une autre éternité. Et dans le coeur de la jeune Alsoomse, une fissure, puis deux apparaissaient. Jusqu'à ce qu'il se brise.

______________________________________

« NON ! »

La jeune femme se réveilla brusquement dans son lit et se redressa vivement en se débarrassant le plus vite possible de sa couverture. En un clin d'oeil, elle était de l'autre côté de sa chambre et sa poitrine se soulevait à grand mouvement tandis que sa respiration semblait hachée. Prenant conscience qu'une fois de plus, ce cauchemar, ou plutôt ce souvenir, avait eu raison d'elle encore une fois. Cela lui semblait encore si réel .... la jeune Alsoomse déglutit en touchant ses vêtements, ayant encore la sensation de les sentir humides de sang sur elle et que cette odeur métallique lui parvenait encore aux narines. Combien de temps cela allait-il durer ? N'allait-elle jamais pouvoir passer à autre chose ? Il était déjà étonnant qu'elle puisse vivre après cela, cela lui avait prit près de huit ans d'exil pour qu'elle commence à redevenir "humaine". Depuis son retour à la réserve Winnipesaukee il y a quatre ans, il fallait admettre tout de même que son état c'était amélioré. Mais le cauchemar ne disparaissait pas, comme si elle était vouée à revivre son échec et sa perte toutes les nuits jusqu'à sa mort. Mahala toucha un instant son visage comme pour reprendre pieds avec la réalité. Cela faisait douze ans ... et ses souvenirs étaient si net ... le ventre de la jeune femme finit par se serrer lui rappelant qu'elle n'avait pas mangée depuis la veille. Regardant son réveil, elle put constater que c'était normal puisqu'elle avait sautée près de trois repas. Ne prêtant plus attention à ce qui venait de se passer, peut-être par habitude, la jeune femme se dirigea vers sa cuisine et plaça un morceau de viande sur la poêle tandis qu'elle plaçait les tagliatelles de la veille dans le micro-onde. La cuisine ?Non ce n'était pas vraiment son truc, même si elle savait la faire, lorsqu'elle était seule, elle ne s'embêtait pas. Il était plus de dix-sept heures pour l'instant. Elle s'était endormie parce que cela faisait près de quatre à cinq jours qu'elle n'avait pas dormie que deux à trois heures par nuit. Sa fatigue avait eue raison d'elle. Le décalage avec l'heure était pourtant frustrant. Elle aurait aimée se poser un peu devant la télévision pourquoi pas, mais elle devait prendre bientôt son service qu'elle n'avait aucune envie de perdre. C'est pourquoi elle ne mit pas longtemps à engloutir son repas avant d'aller vers la salle de bain pour prendre une douche froide. Dès que le jet d'eau fut tombée sur elle, la jeune Alsoomse soupira d'aise. C'était toujours plus agréable de prendre une douche gelée lorsque votre température corporelle dépasse les quarante. Mahala se lava de la sueur qui perlait sur sa peau, profitant aussi de s'occuper de ses cheveux qu'elle négligeait depuis quelques temps maintenant. Lorsqu'elle sortie, elle était ruisselante et elle enveloppa son corps dans une serviette avant de chercher des vêtements convenables. Pour le Joe's Bar il n'y avait pas réellement de réglementation. Et puis, elle n'allait pas prendre le risque de bousiller des vêtements neufs si elle venait à prendre sa forme de louve. C'est pourquoi elle prit un short qu'elle avait taillée elle-même et l'enfila tout en passant un débardeur noir au-dessus de sa tête. Se servant de la serviette qu'elle avait laissée traîner sur le sol, elle sécha du mieux qu'elle pouvait ses cheveux avant de se dire que de toute manière, vu le temps qu'elle passerait à l'intérieur, sec ou trempée, ça n'avait pas d'importance. Tout en mettant ses bottes, la jeune femme tentait de reprendre une contenance et une carapace sûre. Elle ne voulait pas craquer comme elle le faisait par moment, devant ces personnes, celles qu'elle ne connaissait pas en tout premier lieu, mais surtout celles qu'elle côtoyait. Il lui suffirait ensuite de ne plus y penser pour que lorsqu'elle se transformerait de nouveau, personne n'y fasse attention. Cela faisait un long moment qu'elle avait appris à mettre ses sentiments de côté, mais depuis l'arrivée des chasseurs et sa rencontre avec ce Zack ... il faut admettre que tout était un peu bousculé. Il réveillait en elle des souvenirs qu'elle avait appris à étouffer. Elle finit par sortir et se rendit à pied à l'établissement où elle devait prendre son service.

______________________________________

Cinq heures de service d'affilées. C'était samedi soir en même temps diriez-vous, c'est donc normal qu'il y est pas mal de monde. L'ambiance à l'intérieur était brûlante et animée. Mahala aimait l'odeur qui régnait, celle des animaux chassés par Joe, mais aussi les nombreuses histoires qu'il racontait aux clients avec un sérieux étonnant. Il était clair qu'il avait des dons de conteur, comme la voix des anciens lorsqu'elle était plus jeune, lorsqu'elle se rendait encore aux feux de camps. Elle appréciait. C'était bien les moments dans sa vie où elle avait la simple impression d'être normale et rien de plus qu'une jeune femme s'occupant de ses clients. Elle finit de servir une peinte lorsque la porte s'ouvrit pour la énième fois de la soirée. Une silhouette haute et plutôt imposante apparue dans le champ de vision de la demoiselle qui n'eut aucun de mal à reconnaître Enzo, son alpha, mais surtout son ami. Elle afficha un grand sourire, les sentiments négatifs bien enfouis au fond de son être et attendit qu'il s'approche du bar avant de dire d'une voix malicieuse.

« Bonsoir monsieur, je vous sers quelque chose ? »

Elle le regarda avec un amusement non feint.

Mahala se trouvait assise sur un tabouret, les pieds négligemment posés sur le bois du comptoir, les bras croisés. D'une oreille attentive, la jeune indienne écoutait les longs récits qui se déroulait de la bouche de Joe ... Il fallait toujours que le vieux propriétaire tente d'épater la galerie avec d'anciennes légendes de la communauté. D'ici, elle voyait déjà les regards s'arrondir sous l'effet de ses paroles, tandis que d'autre regardait le regardait avec une pointe d'amusement, le genre de regard que l'on lance en pensant " ce pauv' type ne sait pas de quoi y parle, mais c'est plaisant à entendre " ... si seulement ces abrutis se rendaient compte que les histoires que Joe racontait était belle et bien réelle ... non peut-être ne valait-il mieux pas, songea la jeune Alsoomse. Elle avait depuis longtemps compris que ceux qui étaient maintenus dans l'ignorance étaient bénis. Il n'empêche que le ton de conteur qu'empruntait son patron la replongeait dans des souvenirs lointains, lorsqu'elle était encore une personne normale, alors que le gène lupin ne s'était pas encore déclenché chez elle. Elle avait elle-même été à la place de ces personnes ... à regarder ses ainés avec une admiration non feinte et un intérêt certain, même si elle s'efforçait de ne pas trop y croire. Cela la fascinait. Il faut dire qu'elle avait été suffisamment naïve à une certaine époque, pour croire que se transformer en animal pouvait être le plus merveilleux don qui soit ; suffisamment stupide même. Ce n'était pas un don ... s'il fallait dire quelque chose à ce sujet on pourrait dire que cela craignait. Mais on faisait avec. La jeune femme fut tirée de ses pensées par la voix d'un client qui lui demandait une bière et avec un petit hochement de tête, elle se leva souplement et saisit un verre, le faisant habilement rouler dans sa main - que croyez-vous, elle aussi aimait épater les clients lorsqu'elle était de bonne humeur (a) - et le remplit d'une bonne pinte avant de la lui servir. « Et voilà ! Prenez le temps de la savourer celle-ci ! Ça ne vous fera pas de mal ! » dit-elle à son attention, pour la simple et bonne raison que c'était bien la troisième fois qu'il lui en demandait une. Certes il y avait une table remplit d'homme un peu plus loin, mais tous de même. Il lui fit un sourire charmeur en inclinant la tête dans un signe affirmatif et se retira pour rejoindre ses amis à leur table. Mahala serait repartie à ses petites réflexions, lorsqu'elle vit une haute silhouette imposante entrer dans le bar et lorsqu'elle le reconnut, un sourire naquit sur ses lèvres.

Le sourire qu'il lui rendit fut léger. Ça ne l'inquiéta pas tout de suite, sachant parfaitement qu'Enzo avait tendance à être occupé ces derniers temps, elle était même étonnée de le voir ici, ce soir étant persuadée qu'il devait dîner chez Sora, sa petite amie. Sa présence était peut-être purement et simplement dû à son devoir d'alpha et rien de plus. Peut-être qu'un de ces jours, Mahala finirait par lui dire ses quatre vérités à ce sujet d'ailleurs. C'était quand la dernière fois qu'ils s'étaient retrouvés tous les deux, en simple amis ? Comme étant Mahala et Enzo et non pas l'alpha et la membre de la meute ? Si loin que Mahala devait prendre une seconde pour y réfléchir. Cependant, ce ne serait pas ce soir qu'elle allait s'y mettre, après tout c'était naturel ; il avait tellement de problèmes sur les épaules, qu'ajouter les siens serait criminels. Sadique même. Le voyant approcher, Mahala l'attendit patiemment près du comptoir, conservant tous de même son petit sourire et dès qu'il fut devant elle, la jeune louve entama la discussion, joueuse. La grimace qu'il tira en s'asseyant la chiffonna, d'autant plus que les paroles qu'il venait de prononcer ; Enzo qui demandait à boire quelque chose de fort. Elle aura tout vu. « Tu as une mine affreuse » dit-elle sans se presser de le servir. Son ton avait été léger et naturel, comme si elle venait de lui demander l'heure qu'il était, c'était du Mahala tout craché., mais depuis le temps, il devait y être habitué. Elle prit un verre derrière elle et le posa devant elle avant de prendre une bouteille de whisky derrière elle et de le remplir. « Je ne m'attendais pas à te voir ici ! Je pensais que tu aurais été la propriété privée de Sora pendant toute la soirée ... » ajouta-t-elle en s'asseyant une nouvelle fois sur son tabouret qu'elle approcha un peu pour ne pas se retrouver trop loin du jeune homme.

Les mots qu'elle avait prononcés ne sembla pas être au goût du jeune alpha qui tiqua un instant au prénom de la jeune Kimama. Mahala le connaissait suffisamment pour savoir que lorsqu'il tirait une tête comme celle-ci, ce n'était pas juste parce qu'une tuile lui était tombée sur la tête ... Enzo était de ceux qui possédaient des nerfs d'aciers. Mais peut-être qu'une goutte venait de faire déborder le vase... Inquisitrice, Mahala le dévisagea comme si elle guettait quelque chose. Et c'était bien le cas, elle recherchait dans son comportement quelque chose qui lui permettrait de savoir ce qui pouvait bien lui mettre le moral aussi bas que le septième sous-sol. En général, c'était à elle d'avoir ce genre d'expression, lorsqu'elle était seule la plupart du temps ... et elle pouvait donc facilement deviner, ce qui tourmentait le jeune Greenwood. Étant l'une des personnes que Sora avait mise dans la confidence - malgré elle il fallait le dire - Mahala se douta que cela avait un rapport avec l'imprégnation de celle-ci ... Mais ayant promis à celle-ci qu'elle ne révélerait rien à son frère de meute, elle préféra ne pas trop s'avancer. Elle préféra ne rien dire du tout même. Lui demander comment il allait ? Question stupide, elle voyait dans son regard que ça n'allait pas. Et s'il voulait en parler, ce serait à lui d'engager le sujet et non à elle. Mahala était bien trop respectueuse envers son ami, celui qu'elle considérait comme le frère qu'elle n'avait jamais eu. C'est pourquoi elle dériva la conversation sur un autre sujet, plus neutre « Qu'est-ce que tu es venu faire ici ? Prendre un verre où tu désirais me parler ? » demanda-t-elle, gardant un ton détaché ; la décontraction elle-même.

Depuis que le jeune alpha avait posé le pied dans le bar, Mahala gardait une posture décontractée, comme à son habitude. Cependant la mine du jeune homme n'était pas celle qu'elle aimait voir sur son visage, cela la rendait à la fois nerveuse et inquiète. Elle avait conscience qu'il devait normalement se trouver chez Sora à l'heure qu'il était, seulement avec les derniers événements survenus, Mahala ne pouvait faire autrement que de faire l'ignorante, sur ce qui c'était passé la veille. Elle avait promis à Sora de ne rien révélée au jeune Greenwood, seulement si ce n'était pas la nouvelle qui le mettait dans un état pareil, elle ne voyait pas ce que c'était. Mahala c'était redressée sur son siège et l'avait salué, sans qu'il n'affiche le moindre signe laissant transparaître quelque chose de positif. Feignant l'ignorance, elle avait engagée la conversation, comme ils avaient l'habitude ce qu'elle aurait sûrement mieux fait de s'abstenir.

Un frisson secoua Mahala lorsqu'elle vit le regard que posa Enzo sur elle. Jamais il ne l'avait regardé avec autant de fureur au fond de son regard. S'en était si violent que Mahala se sentie soudainement vulnérable et déstabilisée. Elle décelait dans les yeux de son ami la colère, la rage, le désespoir, la souffrance ... et le besoin démesuré de cesser de penser, de s'oublier l'espace de quelques heures. Elle aurait pris tout le poids de ce qui le faisait souffrir, si elle avait pu. Malgré les grands airs qu'elle se donnait, Mahala n'aimait pas le voir aussi mal en point. Les mots qu'il siffla entre ses dents furent aussi coupant que son regard et Mahala tressaillit, incapable de démentir ses propos. Mais que pouvait-elle y faire ? Elle était partagée par l'amitié qu'elle portait à Sora et la compréhension de son attachement à son imprégnation et l'amitié qui la liait à Enzo, qu'elle comprenait tout autant parce qu'il venait de perdre la personne qui comptait pour lui, plus que tout au monde. Le ton défait et ayant perdu le sourire de façade qu'elle affichait depuis qu'elle avait compris que quelque chose clochait, elle commença « Enzo, je ... » Mais elle ne pu terminer sa phrase, coupée par le jeune homme. Il ne voulait pas qu'on ait pitié de lui, tous comme autrefois elle ne voulait pas voir les regards peiné braqués sur elle. Le ton acide sur lequel il lui demanda l'alcool qu'elle avait laissée derrière elle la désarçonna une nouvelle fois. Cela ne ressemblait pas au Enzo qu'elle connaissait, en même temps, elle ne l'avait jamais connu ainsi. Mahala se détourna un instant de lui pour prendre la bouteille qu'elle avait posée sur l'étagère se trouvant derrière elle et lorsqu'elle s'apprêta à le servir, elle se figea dans son geste. Le bras que lui tendait Enzo tremblait. Si cela avait été léger au début, ce le fut moins lorsqu'il s'en aperçut lui-même. Jamais encore, elle n'avait vu le jeune Greenwood perdre ne serait-ce qu'un tout petit peu de son contrôle. C'était au contraire lui qui lui avait tout enseigné pour le conserver et ne pas changer soudainement de forme, sous l'effet d'une émotion trop forte. Jamais elle ne l'avait vu trembler, comme il tremblait maintenant. Restant immobile, la jeune femme le regarda fermer les yeux et aperçut les muscles de sa mâchoire se contracter. Elle ne fit que le regarder, pendant qu'il reprenait le contrôle sur lui-même et sur son instinct animal qui ne demandait qu'une chose, apparaître.

Lorsque ce fut chose faîte, plus rapidement que n'importe qui aurait pu en être capable, Enzo rouvrit les yeux et les tourna vers elle, réclamant une nouvelle fois le whisky qu'elle portait au creux de ses mains. Mahala hésita à lui confier ce qu'il lui demandait... étant déjà passée par là, elle n'ignorait pas que l'alcool ne le soulagerait pas. Il lui ferait oublier son problème, c'est tout. Et c'était sûrement pire de se sentir vide et brisé, sans comprendre pourquoi. C'est pourquoi elle recula et se construisant une expression de circonstance, elle répliqua « Non il ne viendra pas Enzo. Et ne me regarde pas comme ça, ce n'est pas pour te prendre la tête que je ne te sers pas, c'est pour ton bien. » Elle posa sur lui un regard qui se voulait ferme, mais où elle ne pouvait s'empêcher de laisser transparaître une lueur d'inquiétude. Jouer les petites dures ne marchait pas lorsque cela impliquait Enzo, il comptait bien trop pour elle et la connaissait mieux qui quiconque. Elle n'avait jamais pu se cacher avec lui et c'était sans doute mieux comme ça. Elle voulait lui porter le même soutien qu'il avait eu envers elle, quelques années plus tôt, seulement elle était sûrement bien plus maladroite dans ses gestes. La Winnipesaukee finit par dire, cherchant soigneusement ses mots pour transcrire ce qu'elle voulait qu'il sache, sans commettre une maladresse. « Écoute Enzo ... je sais que tu m'en veux pour ma conduite de tout à l'heure et je m'en excuse. Seulement je t'aime comme un frère et ... » elle fronça les sourcils, prenant le temps de chercher ce qu'elle voulait dire et surtout, le dire correctement, mettant un point sur ce qu'elle ressentait, ce qui n'était pas une mince affaire lorsqu'il s'agissait de parler d'elle ... elle finit par terminer, le regardant dans les yeux. « Et je ne veux pas que tu te détruises comme je me suis détruite. Je ne veux pas que tu te perdes toi-même ... je ne veux pas te perdre. » termina-t-elle dans un murmure. Non lui, elle ne voulait pas le perdre comme ceux qu'elle avait perdu, au fil du temps. C'était bien la seule personne qui lui restait. Et si elle devait se montrer ferme avec lui pour qu'il reste près d'elle comme le frère qu'il était, aussi égoïste qu'elle était, elle le ferait.

Un peu plus loin, le jeune homme qu'elle avait servi un peu plus tôt leva le bras pour la héler et relevant la tête Mahala ne masqua pas son agacement, ce qui fit rire les hommes se trouvant à sa table. « Apporte-moi à boire femme, j'ai soif ! » déclara l'autre, le ton légèrement épris d'alcool et Mahala, serra les dents. Ce n'était franchement pas le moment ... « Allez bouge tes jolies petites fesses de ton siège et amène-toi .. » ajouta le même homme en la regardant d'un oeil morne et vitreux. Elle s'apprêta à lui lancer une réplique cinglante lorsqu'elle croisa le regard de Joe, qui nettoyait ses verres un peu plus loin ... l'avertissement qu'elle y lut la fit taire. Ce n'était pas la première fois qu'elle pouvait se montrer disons ... impolie face aux clients de Joe et celui-ci l'avait averti plus d'une fois qu'elle finirait par perdre sa place, si elle continuait comme ça. Prenant un pichet, elle s'excusa auprès d'Enzo et se dirigea vers la table, contrariée. Elle allait finir par en prendre un pour taper sur l'autre si cela continuait.

Mahala peinait longuement à exprimer ce qu'elle ressentait à cet instant. Les mots qui avaient pour usage d'exprimer les sentiments qui l'assiégeaient semblait futiles et faible pour mettre un accent sur ce qu'elle voulait qu'il sache. Mahala n'avait jamais été très douée pour cela. Elle pouvait exprimer la colère, l'agacement, le scepticisme, le sarcasme ... mais pour l'amour fraternel qu'elle avait pour Enzo ... où diverses amitiés ... cela était toute autre chose. La jeune louve n'avait jamais réussi à transmettre ces choses-là depuis qu'elle était devenue une louve. Avec Cameron c'était différent évidemment, il était l'homme de sa vie, mais pour les autres ... Elle prit soin de prendre le temps de choisir ses mots, ne voulant pas commettre une maladresse qui serait responsable du départ de son ami. Elle était si douée pour ça, trébucher lorsqu'elle cherchait à s'expliquer. Au bout d'un moment, fronçant les sourcils et d'une voix hésitante bien que très douce, elle se confia à lui et elle s'aperçut que cela était plus simple que ce qu'elle pouvait imaginer. Lorsqu'elle eut finit sa tirade, elle tremblait. Ça n'avait rien avoir avec son statut de louve, ce n'était pas ce genre de tremblement, celui que Enzo avait stoppé quelques minutes plutôt. C'est l'impression de froid que tout le monde ressent lorsque l'on s'adresse à une foule de personne pour présenter quelque chose de personnel. La voix et les membres tremblent, vous fixer le fond de la salle pour ne pas regarder les regards braqués sur vous, buvant vos paroles maladroites. Sauf qu'en l'occurrence, elle regardait Enzo et il était seul face à elle.

Mahala se rasséréna en croisant ses bras et réprimant un frisson ; étrange pour une Winnipesaukee qui n'avait plus ressentie le moindre froid depuis plus de vingt ans. Elle regardait Enzo à présent et au fond de son regard brumeux, elle y décela un éclair de lucidité qui laissa sous-entendre qu'il reprenait le bon chemin. Elle en eut la certitude lorsqu'il laissa tomber son bras sur le comptoir en s'excusant et Mahala inclina la tête, signifiant clairement qu'elle ne lui en tenait pas rigueur. Elle n'était pas bien rancunière ; du moins pas avec lui. Il allait parler lorsqu'une voix les interrompit dans leur échange et Mahala releva la tête vers le perturbateur qui reçut rapidement les foudres qui régnaient dans le regard de la louve. S'il n'avait pas été saoul, peut-être aurait-il glapit et aurait rentré la tête dans les épaules, comme le pauvre chien qu'il était, mais que voulez-vous, redbull donne des ailes (a) Elle aurait pu le faire rapidement s'écraser sur terre si Joe ne lui avait pas lancé un regard d'avertissement qu'elle prit au pied de la lettre. De nature insolente, Mahala avait tendance à ne rien laisser passer, mais le vieil homme qui dirigeait le bar commençait à perdre patience avec elle et Mahala qui travaillait ici depuis des années préféraient calmer le jeu plutôt que trouver un autre job. C'était une petite ville et elle ne pensait pas pouvoir trouver quelque chose d'aussi sympathique que l'ambiance qui régnait ici. Mahala adressa un regard d'excuse à Enzo dont elle voyait déjà le sang battre aux oreilles sachant parfaitement qu'il était une perle rare ; un gentleman qui ne supportait pas voir quelqu'un, ou plutôt une femme se faire traiter de la sorte. Comme pour exprimer son détachement, elle haussa les épaules et prit un pichet emplit d'alcool et contourna le comptoir pour se diriger vers la table des clients. Et comme elle s'en doutait, la haute silhouette d'Enzo fut sur ses talons.

À peine eut-elle déposée le pichet sur la table qu'elle sentie une main se faire attraper dans son dos. Enzo s'en était chargé, ce qui n'était pas étonnant venant de sa part et elle lui adressa un remerciement muet. Non de toute évidence, c'est cinq là n'avaient aucune idée de ce qu'était la galanterie, le raffinement et le " comment on se comporte avec une femme ". Bref, aucune tenue. Enzo le leur fit bien comprendre et voyant le regard désapprobateur de Joe qui s'était arrêté dans son occupation, Mahala haussa les épaules. Elle n'allait pas arrêter le jeune Greenwood parce qu'il la défendait, se serait bien la meilleure ! De toute manière, les mains aux fesses n'avait jamais été acceptées de sa part, Joe ne devrait pas être si mécontent. Elle avait beau avoir l'apparence d'une femme de vingt-quatre ans et des poussières, elle n'en avait pas moins trente-huit et elle n'accepterait pas de se faire tripoter pour le bon plaisir de son patron qui ne souhaitait pas voir son établissement mettre clé sous la porte. Aucun des cinq ne prit la parole alors qu'Enzo demandait des excuses. Comme si l'information mettait le temps de monter aux pauvres neurones qu'ils possédaient, si du moins ils en avaient. Le silence ce fit et Mahala patienta, jusqu'à ce que l'homme le plus près d'elle se charge de mettre à vive voix ce qu'apparemment, ils pensaient tous bas. « Toi t'a rien à m'dire ... c'est pas toi y a trente s'conde qu'était accoudé au bar et qui tremblait comme une fillette ? Alors la raméne pas, j'ai l'droit de m'faire plaisir .... » Alors qu'il tentait de passer un bras autour de la taille de la jeune Alsoomse, celle-ci darda un regard glacial dans sa direction et sa frustration fit lâcher un brin de la retenue qu'elle possédait et impulsive, elle repoussa la chaise de l'ivrogne du pied, faisant tomber celui-ci au sol et sans aucune cérémonie, attrapa celui-ci par la gorge, la maintenant serrée dans sa main et le repoussant contre le bois d'une poutre soutenant le plafond, la jeune femme le souleva de terre. La fureur soudaine la consumait déjà, mais elle se contrôlait. Elle appuya légèrement sur la trachée de celui-ci et s'approcha, sentant déjà l'odeur putride de son haleine, pestant l'alcool. « Je vais t'apprendre quelque chose qui te sera sûrement utile dans la vie. Retiens bien car la prochaine fois, je te le ferais rentrer dans la caboche qui te sers de tête, en cognant. Écrase-toi et on, ou plutôt "je" ne t'écraserais pas, c'est clair ? » Un simple gémissement sorti de sa bouche et Mahala appuya encore. Elle n'avait jamais supportée que l'on s'adresse ainsi à quelqu'un appartenant à la meute. C'était un principe. Elle en avait laissée glisser une lorsque cela s'adressait à elle. Mais Enzo ... ce n'était pas la bonne soirée pour s'en prendre à lui, bien que cette démarche un peu trop protectrice pouvait sembler justement, un peu trop. Elle ne supportait pas, c'était simple. Elle sentait déjà ses membres trembler, très légèrement. Elle serait restée longtemps ainsi si le teint de celui qu'elle maintenait cloué au mur n'était pas devenu mauve. C'est pourquoi elle le lâcha, tremblante. « Ça te tenterait de décoller d'ici Enzo, les excuses d'un minable ne m'intéresse pas et j'ai besoin de prendre l'air. » dit-elle les dents serrées et le regard fixé sur le visage de l'homme qui tentait de reprendre vainement son souffle. Une tête à claque en somme.