Que fait l’artiste lorsque l’inspiration l’abandonne ? Il s’en va découvrir de nouveaux horizons… Rain préférait plonger dans un univers qui lui ressemblait : quoi de mieux pour cette incarnation du Mal, que de baigner dans la fange ? L’ambiance des sous-sols de ce club privé lui plaisait particulièrement… Si les clients habituels cherchaient le simple divertissement, social, musical ou encore sexuel, le vampire ne trouvait satisfaction que dans la contemplation –silencieuse- de la dépravation des hommes.

Lieu prisé des carnivores de petite vertu, le Strip Club abritait toute sortes d’énergumènes… Humains & Sang-Froid se côtoyaient, le temps d’une soirée. Etait-ce le parfum de vice enrobant chaque individu qui alertait ses sens ? Rain était indubitablement attirée par cet endroit, sujet de ses études sur sa proie favorite, d’une part, mais aussi source d’inspiration pour ses œuvres. La musique psychédélique couvrait le brouhaha ambiant, entre râles de plaisirs et rires tordus par l’alcool. Rails & billets froissés couvaient les tables sur lesquels se produisaient de sulfureuses créatures. Les néons bleus se déplaçaient sur leur corps dénudés, projetant des images salaces dans les esprits des curieux. On devinait que ces belles de nuit ne se contentaient pas de danser, la présence de salons privés confortant cette hypothèse… Contrairement au rez-de-chaussée, on supposait que le sous-sol franchissait un nouveau palier dans la débauche. Mais aussi contradictoire que cela pouvait être, on observait aussi un étrange sentiment de sécurité… En effet, les clients ici semblaient se connaître ; aucun débordement n’était à prévoir. En réalité, l’ordre était maintenu par les vampires.

Adossée à un divan qui faisait face à la piste de danse principale, Rain s’imposait dans cette masse mouvante : sa silhouette figée tranchait avec l’animation ambiante. On devinait, par l’importance de la place qu’elle occupait, face à cette estrade qui rappelait les défilés de mode, qu’elle n’était pas n’importe qui... peut-être était-ce même sous son autorité que les vampires présents se pliait. Son bras posé sur le dossier, elle arborait une attitude nonchalante ; lovée contre elle, une strip-teaseuse cherchait à la tirer de ses pensées, en vain. Malgré les baisers lascifs qu’elle lui insufflait dans la nuque, elle n’engendrait aucune réaction : le regard fiché sur le devant de la scène, Rain n’observait ni les mouvements de la professionnelle, qui lui faisait face, ni le reste. Noyée dans ses pensées, le regard absent, elle semblait ailleurs. L’eurasienne méditait depuis quelques jours déjà, complètement perdue, croyant avoir dévié de son droit chemin. La rencontre avec les Volturi allait mettre un terme à ces doutes. Mais pour le moment, elle était livrée à ses interrogations, baissant totalement la garde au péril de sa sécurité. Elle allait d’ailleurs en faire les frais dès ce soir…

Sous un jour meilleur, Rain aurait senti l’anxiété de l’humaine qui dansait à la barre non loin d’elle. Son comportement aurait du l’alarmer lorsqu’elle monta discrètement sur la piste de danse principale. L’intrigante s’approchait maintenant dangereusement du bout de la piste qui s’arrêtait face à sa cible. Cette dernière s’aperçut enfin de l’entourloupe, mais étrangement, elle ne fit rien pour se sortir d’affaire. Sa vitesse surnaturelle aurait pourtant pu l’aider à stopper, et même à contrer cette offensive. Mais Rain ne fit rien de tout cela. Ce n’est que lorsqu’elle ne sentit, que trop tardivement, l’odeur distincte du Sang des Morts, qu’elle para l’attaque : mais la chasseuse s’était déjà jetée sur elle, plantant son couteau dans le bassin du vampire.

Mais alors qu’elle croyait avoir réussi son coup, à son plus grand étonnement, pensant avoir eu la peau de l’irréductible vampire traqué depuis sa venue à Hanover, la chasseuse se trouva dans une position bien inconfortable : la main glacée de Rain emprisonnait la sienne, l’empêchant de retirer sa lame, et par extension, de fuir… Etait-ce le regard du carnivore ou sa prise sur elle qui décomposa son visage ? L’attaquante senti son corps se glacer sur place. Son petit jeu passa inaperçu, éclipsé par l’animation dans le nightclub. Alors qu’elle tentait, en vain, de se dégager de l’étreinte du vampire, la chasseuse ne vit pas la chose arriver : la douleur qu’elle ressentit à l’oreille la fit crier comme un animal que l’on égorge vivant, ce qui, cette fois, n’échappa pas à l’attention des clients. Face à l’horreur de la scène, un climat de panique s’installa rapidement... Rain, qui mordait littéralement sa victime, finit par lui arracher cette vilaine excroissance qui lui servait à écouter derrière les portes… Hurlant à la mort, la main sur la plaie béante du côté de sa tête, la chasseuse tomba à la renverse, se tortillant dans tous les sens. D’un calme olympien, Rain s’empara alors de son sabre qui ne la quittait jamais, posé contre le canapé non loin d’elle. Se relevant difficilement, elle réussit à extraire le couteau de son ventre. Elle monta alors sur la piste, avant de clouer la chasseuse au sol pour lui éviter de bouger : son sabre s’abattit sur le crâne de la malheureuse. La scission prenait de la naissance du haut de sa tête jusqu’au buste. Rain venait de la découper comme un fruit trop mûr, sous les regards effrayés des humains autour. Certains fuirent, d’autres restaient là, ne sachant que faire, avant d’être emmenés par des esprits plus raisonnés qui les conduisirent jusqu’à la sortie. Quant aux autres vampires, on ressentait la division au sein des clans. Il y avait les âmes solitaires et les sbires de Rain, souriant face à la scène mais qui se retirèrent bien vite sachant très bien que leur aîné avait besoin d’être seule, et, d’autres, qui aurait préféré que la chasseuse ne ratte pas son coup. Seul restait le barman, habitué à ces débâcles. Derrière son comptoir, il soupira avant de sortir les derniers spectateurs qui s’attardaient sur le carnage.

La dose de Sang des Morts était trop faible : quelle incapable… sa nouvelle humanité serait de courte durée. Reposant son sabre près du divan, elle s’empara d’un verre de champagne et d’une bouteille d’un excellent cru. Rain se retourna ensuite vers le cadavre avant de la lui briser sur le crâne d’or et déjà fendu : ce qui engendra une multitude de petites fontaines de sang. Le vampire tendit son verre en dessous de l’une d’entre elles, le remplissant de la liqueur vermeille. Cela fait, elle versa dans son cocktail, le fond de champagne qui restait de la bouteille brisée. L’alcool se distilla dans la substance chaude : lorsque que le goût du sang se fera plus fort, la carnivore devinerait qu’elle aurait retrouvé ses pouvoirs. Mais pour le moment, elle ressentait à nouveau les joies de la dégustation de cette boisson noble, prohibée par les vampires. Son blazer baignait dans l’hémoglobine, bon à jeter. Ce qu’elle fit sans attendre, balançant dédaigneusement le vêtement sur la tête du cadavre, le voilant à ses yeux. Si seulement sa victime avait été agréable à regarder, elle ne se serait pas privée de sa vue, mais il se trouvait que la chasseuse avait un physique ingrat… Sa chemise était dans un état tout aussi pitoyable. Tant pis, elle allait passer le reste de la soirée ici, seule, alors à quoi bon être présentable ? Rain alla se rasseoir, sa démarche nonchalante la suivant au pas. A ses côtés, la strip-teaseuse –une vampire que l’on imaginait plus catin que simple exhibitionniste-, était tétanisée, toujours assise sur le divan, ses bras enveloppant ses jambes dans une position de protection.
Rain passa son pouce sur ses lèvres mutines colorées par le sang de la chasseuse… Elle fit signe à son sujet : celle-ci sortit de sa léthargie, sachant que si elle ne réagissait pas assez vite, elle subirait le courroux de l’eurasienne. La strip-teaseuse s’empressa d’aller lui chercher un lin, qu’elle lui passa délicatement sur les lèvres, avant de se faire rejeter une nouvelle fois par l’assassine. La malaimée ne partit cependant pas, aussi attirée par sa cliente qu’effrayée par sa folie.

Rain jeta le mouchoir quand elle en eut fini, avant se laisser tomber sa tête en arrière. Elle était lasse d’être traquée… Cette vie la fatiguait… Mais avant de sombrer à nouveau dans ses pensées morbides, l’eurasienne sentit la présence d’un quatrième vampire qui n’avait ni l’odeur de la danseuse, ni celle du barman. Etant tous congédiés sous son autorité, elle pensait avoir une idée sur les intentions de cette nouvelle protagoniste. Une seconde offensive serait plus que probable... Pourtant, elle ne se prépara pas à se défendre, bien au contraire : se penchant vers la table, Rain attrapa un second verre qu’elle fit glisser jusqu’à la piste de danse, d’où provenait l’odeur de l’inconnue. Elle pouvait bien être la Mort en personne, la carnivore s’en fichait éperduement. Elle n’avait plus le cœur à se battre, ne trouvant aucun adversaire à sa taille, et s’étant lassée de devoir fuir éternellement… Une Rain bien différente de la glorieuse combattante de l’Empire du Milieu que Sophie avait connu, en somme…