Selon Rosalie et Mathilda, le fait d'aller chasser seul avec la petite serait probablement un bon moyen de rapprocher le "père" et la "fille". Selon Emmett, c'était surtout une occasion en or de séparer sa femme de son nouveau jouet, durant quelques heures. En plus de mettre la sécurité de leur famille en péril, l'enfant vampire passait tout son temps avec Rosalie et Emmett se sentait de plus en plus à l'écart. Sans qu'il veuille se l'avouer, lorsqu'Emmett avait proposé de partir seul avec Mathie, il l'avait fait égoïstement, pas pour se rapprocher de la petite, mais plutôt pour l'éloigner de Rose. Il avait du mal à supporter l'ambiance lorsque les deux vampire étaient dans la même pièce. C'était étouffant, Rosalie n'en avait que pour sa fille, elle était si petite, si gentille, si belle et elle l'aimait tellement. Cela dépassait presque la folie. Même s'il se disait que cela allait finir par passer avec le temps, il avait eu besoin d'une pause. La chasse à trois, c'était peut-être plus sécuritaire, mais au moins, il n'aurait pas à se taper une journée complète en compagnie de deux femmes qui passaient tout leur temps à se faire des compliments. Le but premier, était là. Si, en plus, cela faisait plaisir à Rosalie, qui croyait qu'Emmett voulait tisser des liens avec sa fille, c'était tant mieux.

La neige était de plus en plus épaisse, en montant vers le Canada. Même avec son agilité angélique, Mathilda s'enfonçait parfois dans la neige et Emmett devait la soulever pour l'en sortir. Il l'attrapait par le bras et la reposait là où la neige était plus solide. C'était presque attendrissant de voir la petite chose marcher avec autant de peine sur le tapis blanc. Elle avait réellement les traits d'une enfant qui jouait avec misère dans une montagne de neige. Il ne lui aurait manqué qu'un ensemble de neige, avec la tuque et les bottes immenses, pour que le tableau soit complet. Au lieu de cela, les deux vampires, à l'abri du froid, ne portaient que des vêtements ordinaires. Emmett avec son éternel paire de jeans, sa veste de coton bleu marine, ses bottes de constructions beiges qui facilitaient les déplacements et sa casquette, mise sur le côté. Il avait presque l'air d'un gamin. Pas autant que Mathilda, avec ses collant noirs sous une jupette volante verte, ses bottes de neige et une veste grise, appartenant à Rosalie, qui était trop grande pour elle, sur les épaules. Malgré ses tenues légères, il ventait et il faisait froid. Quiconque les auraient vu, n'auraient pas trouvé le tableau très normal. Puis, Mathilda brisa le silence. Emmett baissa les yeux vers elle.

« Je sais que tu ne m’apprécies pas énormément, mais je suis très contente de chasser à tes côtés ce soir. J’espère qu’un jour tu pourras te considérer comme mon père et que j’arriverai à me faire pardonner pour le mal que je fais à la famille… »

Emmett ne croyait pas, pour l'instant, qu'il pourrait, un jour, considérer Mathilda comme sa fille. Premièrement, elle avait déjà plus d'une quarantaine d'année, c'était une adulte, il ne pouvait pas la voir comme une enfant. Esmée lui avait dit, deux jours plus tôt, qu'il serait toujours son fils, même si, aujourd'hui, Emmett avait l'âge mental d'un vieillard. Pourtant, Emmett ne se sentait pas comme un vieillard. Il avait toujours son coeur d'adolescent et peut-être que c'était la même chose pour Mathilda, mais il n'était pas prêt à le voir. Ne sachant trop quoi lui répondre, il ne fit que lâcher, de manière neutre, sans haine, ni gentillesse:

"Tu n'as fais de mal à personne, pour l'instant."

Au début, il avait cru le contraire. Le fait que cette petite peste se soit permis de jouer avec le cerveau de sa femme, était déjà très mal en soit. Mais Carlisle et même Rosalie, lui avaient fait réaliser que, tôt ou tard, Rosalie aurait fini par accepter Mathilda comme sa fille, de toute façon. Mathilda n'aurait fait qu'accélerer le processus. Emmett avait compris qu'ils avaient raison. Il aura, bien sûr, préféré que les choses se passent autrement, mais il était trop tard. Il se répétait sans arrêt qu'il devait assumer ce qui se passait et jusque là, il avait fait de son mieux, malgré son aversion envers la fillette. Le fait était qu'elle n'était pas bien méchante jusque là. Sans prévenir, elle glissa sa petite main dans celle énorme d'Emmett. Cette fois, il la laissa faire. Pas par compassion ou par tendresse, mais bien parce que cela lui facilitait la tâche pour trainer la petite qui s'enfonçait de plus en plus dans la neige épaisse. La neige était blanche et vierge, elle avait une odeur délicieuse. Emmett aurait presque eu envie de s'y étendre et de faire un ange avec sa silhouette dans la neige, mais il s'en retint, n'ayant pas réellement le coeur à l'amusement.

Il sentit l'odeur d'un loup, pas très loin. Un vrai loup, pas un lycan, rien de dangereux. Emmett, s'étant légèrement lié d'amitié avec Seth et Jacob, s'était promis de ne pas chasser le loup, par respect, alors il laissa filer l'animal. Il préférait, de toute façon, que la petite ne s'attaque qu'à des bêtes moins féroces pour le moment. Le combat avait tendance à l'exciter et dans ces moments-là, son instinct de chasse était plus fort et elle se contrôlait moins facilement devant Bella, ou les autres humains. Alors, pour le moment, ils s'en tenaient au gibier facile, ceux qui étaient très blasant à chasser, pour ne pas énerver les sens de Mathilda. C'était comme ça, que lui-même avait appris, avec le temps. Emmett n'était pas très loquace, avec Mathie, ce qui pouvait parfois être lourd. Il n'avait tout simplement rien à lui dire. Pour passer le temps, il lui expliquait quelques règles à suivre, qu'elle connaissait parfaitement, mais au moins, cela brisait le silence et il n'avait pas à exprimer ce qu'il ressentait. Un craquement de branche attira son attention, il reconnu le bruit de pas d'un daim, mâle, d'une taille très imposante comparée à la moyenne de cette espèce. Emmett était, un excellent traqueur, il avait deviné l'animal, avant même de le voir. Mathie aussi l'avait entendu. Il donna son approbation à la petite d'un signe de tête, afin qu'elle se mette en chasse.

La petite n'attendit pas d'avantage avant de se mettre en chasse. Emmett la suivit, gardant une certaine distance, afin de lui laisser le champs libre. La chasse aux daims était très ennuyante, le nouveau père en avait conscience. Lui-même adorait s'amuser en taquinant le puma ou le linx, il n'appréciait guerre les petits daims si vulnérables. Ils avaient la réputation d'être rapides, mais pas pour un vampire. C'est pourquoi la réhabilitation de Mathilda n'avait été qu'une corvée depuis le tout début. Emmett n'en voulait pas à la petite, elle devait passer par là, c'était le processus. La seule personne qui pouvait réellement comprendre Mathilda dans cette famille, à ce sujet, était Jasper. Emmett était directement né dans une famille végétarienne, Esmée, Rosalie et Edward aussi. Pour Alice, cela avait été facile. Jazz avait été le seul à devoir s'intégrer dans le système végétarien après une longue période de temps en tant que carnivore. Peut-être pourrait-il lui donner quelques conseils? Emmett verrait avec Jasper, plus tard. Lorsque Mathilda eu terminé son repas, elle lui demanda des commentaires. Emmett, en plus de devoir se transformer en père, devait maintenant jouer un rôle de professeur. Il haussa les épaules, réfléchi quelques secondes, puis se lança dans ses observations.

"Tu as fais ça très propre, tes vêtements sont intactes, ce qui est bien, mieux que les premières fois. Tu as été rapide, l'animal n'a pas souffert, un peu comme Carlisle le ferait, ce qui est plutôt professionnel, discret, c'est très bien. Sauf que tu t'es lançé comme si tu n'avais aucun contrôle sur ta faim, et c'est ça que l'on doit travailler. Le prochain animal que l'on croise, je veux que tu te lances à sa poursuite, que tu l'attrapes, et ensuite que tu le laisses filer, sans le mordre ou sans le blesser. On va faire ça comme ça."

Mathilda n'avait pas faim, Emmett le savait, elle ne faisait que se nourrir depuis des semaines, comme une ogresse. Elle répondait à ses pulsions, le manque de sang humain lui donnait l'envie constante de s'abreuver, puisqu'elle n'était jamais réellement satisfaite de ses repas. Du coup, elle se vangeait en tuant tous les petits animaux qui passaient, pour tenter d'atténuer ce sentiment de manque, comme le ferait un humain qui tente d'arrêter de fumer, et qui se met à s'empiffrer de croustilles et de bonbons. Avant de se contrôler en présence d'humains, elle allait devoir apprendre à se contrôler en présence d'animaux. La première étape serait probablement plus facile que la seconde, pourtant, il fallait qu'elle la franchisse, et ce n'était pas gagné. Il fallait augmenter le niveau de difficulté s'ils voulaient que les choses avancent. La technique qu'il avait proposé à Mathilda avait déjà été utilisée par Jasper durant un moment, et cela l'avait aidé à travailler le contrôle de sa faim. C'est pourquoi Emmett décida de faire de même avec la petite. Rosalie, elle, aurait probablement été plus douce, moins pressée de passer à l'étape suivante, c'était donc une bonne chose qu'elle ne soit pas là.

Emmett regarda l'enfant vampire, assise en indien sur le sol. Elle le regardait, avec une soif d'apprendre. Le tableau était attendrissant, même pour Emmett qui ne voulait pas se laisser berner. Ce regard qu'elle posait sur lui, le faisait sentir important, utile, necessaire, même. Mathilda avait le don de se faire passer pour une enfant, même après avoir vécu depuis presque un demi-siecle. Même pour Emmett, il était parfois difficile de faire la part des choses. Elle n'était pas une enfant de treize ans, même si elle agissait souvent en tant que tel. Il ne voulait pas se laisser manipuler, mais il devait s'avouer que parfois c'était difficile. Surtout quand elle l'écoutait avec autant d'étoiles dans les yeux, comme si ces paroles valaient de l'or. Emmett savait qu'il était loin d'être le plus intélligent de la famille, il ne comprenait pas pourquoi ce qu'il disait semblait avoir autant de valeurs dans le visage de la petite chose.

"Allons-y, cette fois, tu trouves ta proie toute seule, je ne te dirai pas quoi faire, tu peux choisir la bête que tu veux, même un ours ou un puma, tant que tu la laisses partir sans la blesser."

Emmett se sentait étrangement enjoué par l'attitude enfantin de Mathilda. Il ne la voyait aucunement comme une enfant, sachant pertinemment qu'elle avait, depuis longtemps, dépassé le stade de l'enfant, du point de vu de la maturité. Il trouvait cela bien étrange, mais pouvait faire des liens avec lui-même, qui agissait encore et toujours comme un éternel adolescent, alors qu'il approchait des cent ans. Peut-être qu'au fond, même si l'expérience des années leur donnait une certaine connaissance plus approfondie des choses, leur corps, restant jeune, les empêchait réellement d'atteindre la maturité émotionnelle qui est de mise, en vieillissant. Emmett, même à son âge, concevait encore très mal la notion d'être une figure paternelle. Surtout que cette fonction lui avait été attitrée de manière aussi imprévue et forcée. À défaut de se voir comme un père, il ne pouvait pas se voiler la face, il était devenu un mentor pour la petite vampire.

Il la suivit du regard, prenant soin de garder une distance assez grande pour laisser le champs libre à Mathie, mais assez courte pour intervenir en cas de besoin. Emmett avait la certitude que Mathilda était assez grande pour chasser toute seule, il l'avait vu à l'œuvre depuis son arrivée, mais les buts ultimes de ces chasses en forêt n'étaient pas d'apprendre la chasse à la gamine. Le plus important, était d'apprendre à la petite à se contrôler, à se retenir devant la faim et la soif, à subir les sentiments d'insatisfactions face aux retraits volontaire de la chasse. Si elle n'arrivait pas à repousser l'envie de mordre dans un animal, comment le pourrait-elle avec Bella, ou avec les autres humains? C'était là, que devaient être mises les efforts. Les chasses aux animaux commençaient à être un exercice beaucoup trop facile pour la petite chose. C'est pour cette raison qu'Emmett changea les règles du jeu. Rosalie lui aurait probablement dit que cela était une mauvaise idée, de précipiter les choses, mais elle n'était pas là, et le temps allait bientôt manquer aux Cullen. Puis, Mathilda était prête, il le savait.

Elle repéra un ours, cible préférée d'Emmett, et se mit en chasse rapidement. Emmett se tint loin, regardant le spectacle, les bras croisés. Mathilda lui avait envoyé un regard malicieux avant de s'envoler vers l'animal. Emmett comprit qu'elle croyait probablement lui faire plaisir en choisissant un animal de cet espèce. En effet, lui-même, étant encore vivant, avait été mortellement attaqué par un ours. Si Rosalie n'avait pas été là, il en serait mort, sans aucuns doutes. Il était vrai que l'ours était l'animal favoris d'Emmett pour la chasse, mais cela n'avait aucunement lien avec l'évènement de sa mort. Il avait pardonné à l'animal avant même de se laisser mourir sous ses griffes, car il savait très bien que c'était lui qui avait effrayé l'animal, que celui-ci n'avait fait que se défendre, ce qui était normal. En fait, Emmett aimait chasser l'ours, à cause de la taille et de la force de cet adversaire. Edward aimait les pumas, ils étaient rapides et vifs, à son image. Les ours étaient à l'image d'Emmett, forts et puissants, gros et grands, féroces, mais doux, et c'était ce qui faisait qu'il avait cette préférence. Il respectait l'ours comme s'il s'agissait de son totem, comme si son âme avait été mélangé à celui de l'animal avant de mourir, puis de renaître sous forme de vampire.

Un cri retentit, un son animal, effrayant, c'était Mathilda qui venait de laisser filer l'énorme ours brun. Elle avait hurlé son mécontentement, instinctivement. Elle regarda Emmett, le regard désolé. Ce dernier regarda autour de lui, écouta les bruits, sentit les odeurs. Le vent venait de l'est, et donc, il ne pouvait sentir les odeurs qui étaient à l'ouest, mais pour le moment, l'endroit semblait désert d'hommes, et donc sans danger. Il était préférable qu'elle fasse ce genre d'erreurs maintenant, que tout près de la réserve Winnipesaukee. Elle avait tout de même relevé le défi de base, et c'était ce qui était important. Il s'engagea alors dans une nouvelle critique constructive de ce qu'il avait pu observé.

"Premièrement, félicitation, tu viens de sauver une maman ours qui a deux oursons à sa charge. C'est difficile à voir, mais personne ne connait les ours autant que moi dans la famille. L'odeur des bébés était cachée par leur tanière et par des branches, en plus du vent qui souffle vers l'ouest, tu n'aurais probablement jamais pu deviner leur présence. Il faut faire attention parfois, car si on ne choisi pas nos proies avec attention, on finit par aider l'espèce à s'éteindre. Sans leur mère, les oursons n'auraient eu aucunes chances. Il faut respecter sa nourriture, car s'il n'y en a plus, on est mal barrés. Bref, je ne suis pas là pour te faire des leçons de traque, mais bien pour que tu apprennes à te contrôler."

Il prit une pause, pour laisser à Mathie la chance d'assimiler ce qu'il venait de dire, puis continua.

"Deuxièmement, cette maman ours à eu chaud, mais tu t'es contrôlée, je vais t'avouer que je m'attendais pas à une réussite du premier coup. C'est bien. Évidemment, tu as été... comment dire... bruyante, mais ce cri, pour quelqu'un qui ne connait pas notre existence, aura probablement passé pour celui d'un animal sauvage, comme un lynx ou un puma. Tu as eu de la chances qu'on soit si loin de la civilisation, tous de même, car, probablement que personne ne t'a entendu."

Emmett espérait dire vrai, car si un humain normal ne pouvait faire le lien entre le cri d'un animal et celui d'un vampire, un chasseur pourrait le faire. En plus de cette menace constante des chasseurs qu'Emmett se mettait sur les épaules depuis qu'il s'était fait attaqué par trois d'entre eux, échappant une nouvelle fois à la mort de justesse, sauvé par les lycans, il y avait aussi les autres vampires. L'existence de Mathilda devait rester secrète, au maximum, afin d'éviter que les nouvelles se propagent et se rendent jusqu'à Volterra. Donc, oui, il y avait du danger, et les humains n'en étaient pas la plus grosse part. Il préféra garder ces réflexions pour lui. Comme rien ne valait mieux que la pratique, Emmett proposa alors à Mathilda de recommencer.

"Si tu veux, on recommence deux ou trois fois encore, uniquement si tu tentes de rester silencieuse. Après on se rempli l'estomac et on rentre."

La douleur était tenace, oppressante. Plusieurs années s’étaient écoulées depuis ce jour là, sans que l’esprit d’Anderson n’ait pu gommer ce souvenir épouvantable. Pire encore, il se souvenait de chaque détail, comme si la mutinerie qu’avait subie sa famille s’était déroulée la vielle. A présent, elles revenaient hanter ses rêves. Il entendait les hurlements de panique de sa femme et de sa petite fille comme de lointains échos. Elles l’appelaient à l’aide, l’imploraient de venir leur porter secours. Puis il se réveillait en sueur, le cœur prêt à bondir hors de poitrine. Il n’avait pas pu arriver à temps pour les sauver. Voilà le cauchemar qu’il faisait toutes les nuits depuis sept longues années.

Pour comprendre l’histoire d’Anderson, il faut remonter à la fin de son adolescence. Petit caïd d’une banlieue brésilienne, il vivait avec sa femme et sa petite fille dans une favelas, un ghetto où régnait la misère et la violence gratuite. Andy – comme sa famille aimait le surnommer – vivait de larcins et de trafic de drogue. N’ayant jamais eu la chance d’étudier, le jeune homme n’en était pas moins intelligent. Ingénieux et casse-cou, il s’était forgé une réputation de dur dans son quartier, où il était craint et respecté malgré son jeune age.
1999, un soir d’été. Anderson s’était enfui de chez lui après une altercation avec son épouse. Cette dernière avait de plus en plus de mal à supporter la personne que son mari était en train de devenir. Elle avait peur qu’il ne finisse ses jours en prison, ou qu’il soit la victime d’un règlement de comptes entre bandes rivales. Dans une moindre mesure, elle n’avait pas envie qu’il soit un mauvais exemple pour leur fille de trois ans. La jeune femme finit par chasser Anderson de leur taudis, qui s’enfui semer le trouble dans les ruelles de Rio, très loin des favelas. Il ignorait alors que ce serait la dernière fois qu’il verrait sa femme vivante. Car à son retour quelques jours plus tard, tout était différent. Sa favela avait été le théâtre d’une mutinerie, et les survivants se comptaient sur les doigts d’une seule main. Des corps sans vie étaient allongés sur les pavés, et tous affichaient les mêmes détails communs. Des marques de morsure à la base du cou, et le teint livide, comme s’ils avaient été vidés de leur sang. Tout ceci était très étrange, mais les autorités, dépassées par les évènements décidèrent d’étouffer l’affaire. Dans un pays pauvre, la corruption de la police n’est pas difficile, d’autant plus que personne ne manifeste d’intérêt pour les plus démunis. Déposées devant leur ancien bidonville, les corps de la femme et du bébé d’Anderson s’étaient endormis pour l’éternité. Leur visage étaient marqué par une expression de terreur qui y resterait gravée à tout jamais. Qu’avait-il bien pu se passer ? Quels étaient les auteurs d’un tel massacre ? Sous ses airs de gros dur, le jeune brésilien était très attaché aux deux femmes de sa vie. Et il se promis de découvrir la vérité et de les venger…

Quelques mois plus tard, il était devenu un chasseur de vampires. Cela faisait maintenant de longues années qu’il avait voué son existence à la traque de ces créatures, et malgré toutes celles qu’il avait décimées, la douleur du deuil était toujours aussi intense. Il s’en voulait de s’être disputé avec sa femme avant qu’elle ne disparaisse. Il aurait tant aimé remonter le temps, et lui dire combien il l’aimait. Qu’il avait commis des erreurs, mais que c’était grâce à ses délits qu’il avait pu faire vivre sa famille. Oui, il aurait aimé pouvoir lui dire tout ça… seulement il savait qu’il ne le pouvait pas. Cette injustice était vécue par lui comme une frustration, ce qui le rendait encore plus hargneux dans sa mission. Bien sur, il savait qu’un jour, il allait perdre la vie au cours d’une partie de chasse. Cela ne lui faisait pas peur, car en réalité la perte de son enfant s’apparentait déjà à sa propre fin. En sept ans, il avait parcouru le continent américain en long et en large. Dernièrement, il avait été mis en courant qu’il y avait une recrudescence de meurtres perpétrés par des vampires dans la petite ville tranquille d’Hanover. Il ne lui en fallu pas plus pour se décider à venir s’installer dans le New Hampshire quelques temps.

Cela faisait tout juste une semaine qu’il était sur place, et la neige avait recouvert le comté de son long manteau blanc. Le ciel était cotonneux et lourd, si bien que les rayons du soleil ne parvenaient pas à transpercer l’épais voile nuageux. Un temps idéal pour les buveurs de sang, qui contrairement aux humains ne redoutent pas les températures extrêmes. Anderson avait pris la direction de la frontière canadienne, en ce début d’après midi. Il espérait y croiser la route de quelques sangsues pour pouvoir soulager sa souffrance. Car le seul moment où il sentait de la vie parcourir ses veines, c’était bel et bien quand il mettait à mort ceux qui étaient responsables du trépas de sa famille. Comme il s’en doutait, le foret était déserte. Il faisait vraiment froid dehors, les sentiers étaient vides de randonneurs, et donc de repas potentiels pour les vampires. D’un pas nonchalant, il regagna la lisière des bois où il avait stationné son véhicule. Mais des bruits étranges retinrent son attention. Des hurlements de bêtes, combinés à des grognements qui lui étaient très familiers. Un sourire triomphal se dessina sur ses lèvres. Puis il y eu un hurlement de rage… enfantin. Ce fut suffisant pour le troubler et l’inciter à rebrousser chemin.

Il courait, tel un sprinter aux jeux olympiques. Il était persuadé avoir flairé la piste d’un vampire, et comptait bien lui faire la peau. Perdre une nouvelle occasion d’assouvir son besoin de vengeance le mettrait dans une rage sans précédents. Des bruits de pas se rapprochaient dans sa direction. En tant que chasseur, il avait appris à être très attentif à son environnement, et tous ses sens étaient en éveil. Il percevait très distinctement le son d’un animal qui se déplaçait, suivi de près par des pas légers, puis par d’autres, beaucoup plus lourds. Instinctivement, il glissa sur la droite et alla se cacher derrière des herbes hautes. Celui ou ceux qui poursuivaient ce pauvre animal seraient forcés de passer devant lui. Et là, il dégainerai une flèche entachée de sang de mort, et la pointerai en direction des buveurs de sang. Il étouffa un petit rire jubilatoire et attendit patiemment son heure. Il avait entendu une rumeur aberrante récemment : il existait soit disant des vampires inoffensifs pour l’homme, ne se nourrissant que d’essence animale. Des végétariens qu’ils disaient s’appeler. Les sangsues pouvaient être si drôles parfois… Anderson n’en croyait pas un mot. Encore une ruse de leur part !

Un élan fonça à toute vitesse et passa sous ses yeux, puis il distingua la silhouette d’une adolescente. Pendant une bonne dizaine de seconde, il maintint la corde de son arc tendue, ne sachant pas s’il devait tirer une flèche ou non. Il n’avait jamais croisé la route d’enfants vampires. Jamais. Pourtant il ne rêvait pas, c’était bel et bien une buveuse de sang qui se tenait devant lui. Elle semblait hésitante elle aussi, et ne cessait de regarder derrière elle. Peut-être avait-elle compris qu’elle était en danger. Ses yeux rouges étaient marqués par l’angoisse. Anderson sentit une petite main se poser sur son épaule, puis sa fille lui murmura quelque chose à l’oreille.

« Papa, ils nous ont tuées. Ne te laisse pas amadouer… »

La flèche ensanglantée parcourut quelques mètres avant de se loger dans l’abdomen de la sangsue. Anderson ne disposait que de quelques minutes pour la mise à mort. Il se mit à découvert, et avança en direction de sa victime.

Emmett se tint à l'écart, comme l'avait fait Carlisle, Rosalie et Esmée quand il était à la place de Mathilda, plusieurs décénies auparavant. Il pensa avec un petit voile de bonheur qu'il referait la même chose avec Bella, lorsque le temps serait venu. Lui-même avait abandonné les cours depuis l'attaque des chasseurs qu'il avait subit quelques semaines plus tôt. Il n'avait plus eu envie de retourner en classe après ce jour, se disant qu'il pouvait tout aussi bien faire autre chose. Il avait déjà bien assez étudié dans sa vie, et des jeunes de son âge physique, il y en avait beaucoup qui n'allaient pas à l'université. Pourquoi devait-il continuer d'y aller, année après année? C'était inutile. Il préfererait de loin se trouver un travail, comme son père, et s'y spécialiser. Pour l'instant, il n'avait pas encore décidé de ce qu'il voulait faire du reste de sa "vie", mais avec les évènements qui se bousculaient les uns après les autres, il n'avait pas eu beaucoup de temps pour y penser. Bref, il avait tout de même beaucoup de temps libre et se porterait probablement volontaire pour s'occuper de sa belle soeur, quand il le faudrait, comme il le faisait présentement pour sa "fille" adoptive.

Perdu dans ses pensées, il n'en sortit que lorsqu'il entendit le hurlement de douleur de la petite chose. Cela n'avait absolument rien à voir avec le cri de mécontentement qu'il avait entendu quelques minutes plus tôt. Il n'y avait aucune tonalité animale dans ce cri, uniquement le bruit paniqué d'une enfant blessée. Si Emmett avait eu un coeur en fonction, celui-ci se serait mis à se débattre dans sa poitrine comme une poule fraichement décapitée. [Ouf c'est gore quand même comme comparaison lol] Ses muscles se tendirent et il chercha la petite du regard, mais il ne la vit pas. Seule une odeur de sang frais, humain, vint aux narines du grand vampire lorsqu'il huma l'air. La première chose à laquelle il pensa, c'était que Mathilda devait avoir sauté à la gorge d'un humain, mais cela n'avait aucun sens, puisqu'il n'avait détecté aucun humain dans les environs. Puis une autre odeur humaine vint à ses narines, une odeur qui avait été parfaitement dissimulée tout ce temps. C'est là qu'Emmett comprit ce qui se passait réellement. En quelques secondes à peine, il se retrouva tout près de Mathilda, après avoir suivie la première odeur humaine. Elle était étendue dans la neige rougie par le sang, derrière un bosquet, une flèche bien plantée dans son abdomen.

Emmett sombra rapidement dans une rage foudroyante. Ses muscles en entier se tendirent avec ferocité. La folie s'empara de lui, à un point tel qu'il n'arrivait plus à réfléchir correctement. Le souvenir de l'attaque des chasseurs de la forêt, de ce Zack Hamilton, de la peur qu'il avait ressentit, du traumatisme par lequel il était passé, lui revint avec vivacité. Un sentiment d'urgence s'empara ensuite de lui. Le chasseur ne devait pas être bien loin, il le sentait, il approchait. Normalement, Emmett aurait probablement tenté de s'expliquer avec l'homme, mais cette fois c'était différent. Il ne voyait plus rien, il ne contrôlait plus rien, sa folie, sa rage prenaient le contrôle de tout. Il se mit à grogner comme un chien enragé, dangereux. Emmett n'était plus Emmett, il était maintenant un vampire effrayé et en colère. Même s'il ne considérait pas la petite comme sa fille, la seule chose qu'il se répétait sans cesse dans sa tête était: "Tu dois proteger ta famille, ta famille, tu dois la protéger..." Le gentil vampire était maintenant enragé, protecteur, il ressemblait d'avantage à un animal qu'à un humain. Mathilda était étendue devant lui, elle pleurait, elle était humaine, elle souffrait. Et dans le visage de l'enfant, il pouvait aussi voir celui de Rosalie, la femme qu'il aimait. Cette vision d'horreure avait tout pour le rendre complètement fou.

Des bruits de pas se firent entendre dans la neige, des pas incertains. Emmett se retourna et aperçu le visage surpris du chasseur qui ne s'attendait tout probablement pas à voir un vampire aussi colossale avec sa petite victime. Ils restèrent là, à se regarder comme chien et loup, durant une bonne minute. Emmett qui regardait l'homme comme un animal sur le point d'attaquer, et le chasseur qui regardait Emmett en cherchant un échapatoire. Il était parfaitement au courrant qu'il venait tout probablement de faire une erreure monumentale, car il savait qu'Emmett n'allait pas se faire avoir par un couteau plein de sang de mort, ni par une flèche. Le chasseur savait que sa seule arme véritable contre les vampires était l'effet de surprise, or, il n'y aurait pas d'effet de surprise avec Emmett. Ce dernier, n'étant pas lui-même, ne dissimulant aucunement sa rage et son envie de vengeance lança un long hurlement monstrueux, de quoi faire peur aux dieux de l'Olympe. Il s'avança vers le chasseur avec une vitesse ahurissante et l'attrapa par la gorge. Il ne fallu qu'un simple serrement de la part du vampire pour la nuque de l'humain soit brisée sur le coup. Emmett laissa tomber le corps du chasseur sur le sol, à ses pieds. Le pauvre homme n'avait eu aucune chance de se défendre, Emmett ne lui en aurait pas laissé.

Il se retourna vers Mathilda, qui était là, par terre, entourée de son propre sang, humaine. Emmett avait du contrôle en présence d'humains, mais lorsque ceux-ci saignaient de la sorte, la tentation était grande et difficile à endurer. Il serra les dents, les poings et se raidit deux fois plus. Il ne devait pas tuer la petite, mais il n'arriverait jamais à s'approcher d'elle sans vouloir la vider de son sang. Il vivait un supplice de l'enfer, et les yeux de Mathilda vers lui, le suppliait de ne pas se laisser aller à la tentation. La petite ne semblait pas comprendre ce qu'il lui arrivait, mais elle reconnaissait tout probablement l'envie d'Emmett à l'égard du sang humain qui coulait de son abdomen. Emmett ferma les yeux, la petite ressemblait énormément à sa femme et même dans un état de folie aussi pure, il ne pouvait se résoudre à faire du mal à sa femme. Il bloqua sa respiration, mais le mal était déjà fait. Puis un silence ce fit, pendant quelques secondes et Emmett se rendit compte qu'il entendait deux coeurs battre. Le chasseur n'était pas encore mort. Sans même prendre le temps de réfléchir, son instinct lui dictant de tout faire pour préserver la fille de sa femme, Emmett attrapa le corps du chasseur et plongea ses dents dans la gorge chaude de ce dernier. Un délicieux liquide coula tout au long de sa gorge, et Emmett se rappela combien le sang humain était délicieux.

Rapidement, il se sentit fort, plus qu'il ne l'avait jamais été, car le sang animal n'était pas assez puissant pour donner cet effet à un vampire. Il se délecta du sang chaud, comme un alcoolique vidant une bouteille de whisky. Lorsqu'il eut terminé, il était près à affronter la tentation du sang de Mathilda. Il s'approcha d'elle, doucement, il prit son temps, malgré le fait qu'il devait faire vite pour enlever cette flèche empoisonnée du corps de la petite. Il se mit à genou à côté d'elle, elle semblait effrayée, elle tremblait comme une feuille. Au début il pensa qu'elle s'inquiétait de ce qui lui arrivait, mais il se rendit compte qu'elle avait tout probablement aussi peur de lui. Le sang du chasseur coulait encore de ses lèvres, il s'essuya, croyant que c'était probablement devant cette vision que Mathilda tremblait, puis il tenta ensuite de la rassurer. C'est à ce moment qu'il se mit à reprendre ses sens et à redevenir un peu lui-même. Il n'avait pas le choix s'il voulait que la petite lui fasse confiance.

"Je ne te ferai aucun mal Mathilda, je dois absolument retirer cette flèche de ton abdomen, sinon tu vas mourir, tu m'entends?"

Il prit une pause. Il se devait d'expliquer à Mathilda ce qui en était. Elle devait savoir ce qui était en train de lui arriver, et ce qui allait arriver par la suite. Lorsque cela lui était arrivé à lui, il n'y avait personne pour le rassurer, ou pour lui expliquer ce qui se passait. C'était ce qui avait rendu l'expérience aussi traumatisante. Il espéra que sa présence allait rassurer la petite. Tout d'un coup, il ressentait énormément de compassion pour elle, qui vivait la même chose que lui avait vécu.

"Tu as été blessée par une arme de chasseurs, c'est du sang de mort. Tu te souviens, on en a déjà parlé, ça te fais redevenir humaine pendant quelques minutes, mais je dois retirer la flèche pour que ton corps se regénère. Je suis désolé, mais prépare toi, c'est douloureux, tu vas souffrir pendant un petit moment, mais ça va passer, je te le promet, tu vas rentrer à la maison sur tes deux pieds, en pleine forme physique. Et puis je suis juste ici, avec toi, je ne te laisserai pas toute seule, tu vas voir tout va bien se passer."

Il se pencha alors vers Mathilda, aggrippa la flèche et la retira. Le sang se mit à couler de plus belle, mais Emmett était repu et ne pouvait que se contrôler devant le visage tordu de douleur de sa fille adoptive. Elle lui faisait tellement penser à Rosalie. Il s'esseya dans la neige et prit la petite dans ses bras, appuyant sur la blessure afin de réduire le flot de sang. Elle était placée entre ses cuisses, le dos et la tête sur son torse. Il se mit alors à respirer, malgré le fait que l'odeur du sang de Mathie soit aussi alléchante, car il pensa que le mouvement de sa respiration pouvait peut-être calmer Mathilda, le temps que cela passe. La douleur qu'elle ressentait n'était rien, comparé à ce qu'elle allait ressentir lorsqu'elle se retransformerait en vampire. Cela ne tardit pas. Elle se mit à se tordre de douleur, alors que sa blessure se refermait, que son sang se durcissait, ainsi que sa peau. Le coeur de la petite cessa de battre, elle était en train de guérir, mais aussi en train de souffrir. Cela prit pratiquement trente minutes avant que la petite se détende, et Emmett resta près d'elle tout ce temps-là, lui expliquant chaque étape de sa retransformation, la rassurant, lui disant que bientôt cela serait terminé. C'est uniquement lorsque Mathilda se sentit mieux, qu'Emmett posa le regard sur le corps du chasseur qu'il venait de tuer, de sang froid. Il savait que ses yeux avaient tout probablement pris une teinte rougeatre, et il sut qu'il allait devoir des explications à Rosalie. Il ressentit alors, un énorme sentiment de culpabilité; il avait mis la vie de sa fille en danger, avait tué un homme, avait bu de son sang, il était devenu un monstre...