Psychozee & Rag Doll
Silver Lehane & Sora Kimama



« Le Professeur Hawkins sera absent
toute la journée du 4/01/07 ; il vous informera
lors de son prochain cours de la date de rattrapage
pour chacune de ses classes. »

Debout devant le grand tableau du hall, sur lequel étaient punaisés des dizaines de petits mots semblables, Silver soupira. Le Professeurs Hawkins était l'un de ses préférés et la matière anthropologique qu'il enseignait avait beaucoup de succès auprès des étudiants. La cinquantaine bien tassée, Hawkins avait les cheveux gris en bataille et un petit air rieur qui lui apportait toute la sympathie de ses élèves. Il savait comment capter leur attention tout en rendant les choses ludiques. Il ne se passait pas un cours sans que tout l'amphithéâtre n'éclate de rire face à ses blagues, ou ouvre de grands yeux étonnés quand il racontait des histoires sur ses nombreux voyages. Hawkins était tout simplement le professeur parfait, il avait une telle popularité d'ailleurs, que ses plus grands « fans » se vantaient d'avoir créé une page Facebook rien que pour lui. Apparemment, il y avait même une application permettant d'afficher sur son mur la « citation du jour du Pr. Hawkins ». N'étant pas du tout attirée par Internet, Silver avait malgré cela pris quelques minutes à la salle informatique du campus pour vérifier, en présence d'une amie qui possédait un compte sur ce site. Elle avait bien ri en réalisant que tout était vrai.

Si la brunette fut tout d'abord déçue de l'absence de son prof, un sourire étira finalement ses lèvres alors qu'elle se dirigeait vers le parking. Puisque ce cours-ci avait été annulé, son après-midi était terminée ! Elle aurait du avoir deux heures avec Hawkins, jusqu'à dix-sept heures. Il était exactement quinze heures cinq - comme l'indiquait sa montre - et elle était libre. Normalement, l'idée de se rendre à la bibliothèque universitaire pour lire un bouquin de son programme aurait du lui traverser l'esprit, mais il n'en fut rien. Non, quelque chose d'autre occupait déjà toutes ses pensées. Très vite, Silver atteignit son véhicule, une New Beetle noire offerte par sa mère l'année de ses seize ans. Elle s'y engouffra en grelottant : la météo ne s'arrangeait pas ces derniers jours. Il neigait et le vent soufflait fort. Parfois, les températures étaient si basses que le sol gelait. Pas plus tard que l'avant-veille, la jeune femme avait du renoncer à faire les courses en voyant que les routes brillaient à cause du verglas. Les voitures engagées roulaient à 15 km/h et les visages des conducteurs étaient crispés, presque effrayés. Du coup, Nate s'était proposé d'y aller aujourd'hui puisqu'il ne travaillait pas si tard que d'habitude.

Démarrant la New Beetle, Silver appuya sur le bouton de la radio. Elle ne mettait plus vraiment de musique depuis ce terrible jour, parce que ça ne la détendait plus comme avant. Mais les choses étaient en train de changer et Silver le savait. Tout d'abord, l'arrivée de Nathan, qui depuis son installation à Hanover, ne perdait pas une occasion de remonter le moral de sa protégée. Il se montrait présent, disponible et faisait tout ce qui était en son pouvoir pour lui redonner goût à la vie. Aussi étrange que cela puisse paraître car elle s'évertuait à refuser son aide - ou à ne pas l'apprécier tout du moins - cela fonctionnait. Voilà pourquoi Sil avait trouvé la force de se balader dans la forêt de la Réserve la veille. Parce que désormais, elle ne voulait plus être seule, enfermée dans sa chambre quand elle n'avait pas cours. Et cette promenade s'était avérée magique. En l'espace d'une demi-heure, Silver était devenue une tout autre personne, grâce à une rencontre qui, elle le sentait sans pouvoir se l'expliquer, allait prendre une importance capitale dans sa vie.

Elle roula une vingtaine de minutes avant d'apercevoir le parking sur lequel elle s'était garée hier. Silver s'y engagea et laissa sa voiture, prenant bien garde de verrouiller les portières - on ne savait jamais. A sa gauche se trouvait le sentier qui l'avait menée dans les bois et sur une jolie plage de galets. A sa droite, des habitations. Et tout devant, ce qui semblait être une rue principale. Haussant les épaules, se disant que si elle se perdait elle pourrait toujours trouver quelqu'un pour la renseigner, elle avança dans cette fameuse rue. Il n'y avait pas énormément de monde. Sur le trottoir d'en face, une jeune femme d'à peu près son âge avec de magnifiques cheveux marchait d'un pas précipité - elle était certainement pressée de se rendre quelque part. Silver songea que Jacob se trouvait peut-être ici. Elle aurait tant aimé le croiser... Il lui manquait, alors qu'ils ne se connaissaient que depuis un jour. Le coeur a ses raisons que la raison ignore, comme on le disait si bien. Car même si Silver ne savait absolument pas pourquoi elle ressentait des choses aussi fortes pour un « presqu'inconnu », ça ne changeait rien : il lui manquait, point barre.

La brunette sortit de ses pensées lorsqu'elle aperçut une enseigne qui lui semblait être la bonne. Techniquement, c'était là que se trouvait la femme qu'elle devait voir. Poussant la porte, Silver remarqua que deux personnes se trouvaient dans le magasin. Une derrière le comptoir - qui de toute évidence était Sora Kimama - et une autre juste devant. Il s'agissait d'un homme aux cheveux mi-longs avec une carrure pour le moins imposante. Lorsqu'il entendit la clochette du magasin, il se retourna et esquissa un sourire bienveillant à Silver, qui le lui rendit. Puis, il salua son amie et quitta les lieux. L'étudiante s'avança alors.

« Bonjour. J'espère que je ne vous dérange pas, » dit-elle d'un air légèrement embarrassé - elle avait peur que l'homme ne soit parti par sa faute. « Je recherche Sora Kimama. »

Bien qu'étant quasiment certaine que son interlocutrice soit Sora, Silver ne voulait pas se tromper et préférait demander confirmation. Après tout, elle ne l'avait jamais vue et même si le magasin ne semblait pas très grand, il pouvait être géré pas plusieurs habitants. Quoi qu'il en soit, il dégageait un sentiment de chaleur et de simplicité que Silver appréciait beaucoup. Elle espérait avoir le temps de faire le tour de cet endroit, qui regorgeait sans aucun doute de choses toutes plus intéressantes les unes que les autres.
En attendant, Silver sortit le petit sac dans lequel se trouvaient son bracelet et le pendentif en forme de loup. Si la jeune femme était bien Sora Kimama, elle se devrait de lui expliquer ce qui l'amenait ici... Peut-être pourraient-elles discuter un peu ? Elle connaissait Jacob Black, et si elles engageaient la conversation, Sora pourrait lui en apprendre plus sur lui, ou sur le lien qui les unissait. Sil donnerait n'importe quoi pour la moindre petit information sur le jeune homme qui avait su la toucher, la veille. Elle en savait si peu, alors qu'elle aimerait le connaître par coeur.

L’hiver stagnait, sa rude ardeur atteignant les hommes, même les plus endurcis et habitués à cette météo peu clémente. Les clients frigorifiés et bougonnants se succédaient dans l'épicerie des Kimama, et même l'atmosphère chaleureuse du vieux magasin ne suffisait pas à remonter leur moral. Et un client de mauvaise humeur n'améliorait certainement pas celle de Sora, qui n'appréciait pas de se retrouver la cible du sale caractère de certaines personnes simplement parce qu'elle était là au mauvais moment. S'ils cherchaient quelqu'un sur qui gueuler, qu'ils aillent voir un peu plus loin, quand Sora était à la caisse ils savaient parfaitement que cela risquait de leur revenir en pleine figure. D'autant plus que sa tante avait fait une légère rechute suite à la grippe qu'elle avait contracté quelques semaines plus tôt, et que l'inquiétude était de retour, à ronger ses veines. Bien qu'Aquene affirma se sentir bien, Sora l'avait forcé à prendre soin d'elle en restant alitée ou du moins tranquille pour quelques temps. C'était donc elle qui gérait l'épicerie à temps plein ces derniers jours, et elle avait prévenu ses frères de meute qu'elle ne pourrait être autant disponible qu'elle l'aurait souhaité. Ce n'était pourtant pas la meilleure période : les loups eux-mêmes, pourtant résistants au froid et à la maladie qui s'insinuait avec dans les chaumières, commençaient à se lasser de cette saison. Elle apportait avec elle son flot constant de vampires ne craignant plus le soleil, et les derniers évènements aves les Volturis rendaient cette pression insupportable.

Consciencieuse, Sora n'appréciait pas de laisser à ses frères tout le travail, mais elle n'aurait pas pu concilier physiquement ses deux activités. Elle savait que cela ne les dérangeait pas : en tant que famille de substitution, ils se rendaient services et géraient entre eux leurs vies au mieux. Elle savait également que le tout jeune louveteau qui venait de les rejoindre, Lucas, était entre de bonnes mains. Cela n'empêchait nullement qu'elle était toujours ravie de voir l'un d'entre eux entrer à l'épicerie : soit pour discuter de tout et de rien lorsque des clients étaient présents, soit pour la mettre au courant des dernières nouvelles lorsque les lieux étaient déserts. Ils chahutaient comme des gamins lorsque certains jouaient au plus malin en essayant de subtiliser sous son nez une canette de soda ou une friandise, mais Sora n'en avait nulle honte : cela mettait au moins un peu d'entrain dans ces journées monotones et déprimantes.

Bien entendu, son plaisir à les voir n'était en rien comparable à celui qu'elle ressentait lorsqu'Enzo lui rendait visite. Sa seule apparition suffisait à lui faire retrouver le sourire, même quand elle venait de se prendre le chou avec le voisin aigri du coin. Et cet après-midi là, la visite de son Alpha ne fit pas exception à la règle. Tout juste lui lança-t-il un regard amusé après avoir croisé l'homme qu'elle venait d'envoyer balader (tout ça pour un malheureux centime qu'elle n'avait pas été assez rapide à sortir, quel mal-embouché, elle n'était pas une fan des maths, d'accord, mais depuis quand elle arnaquait ses clients ?!), habitué à ce genre d'évènements. Seule avec lui, elle ne se gêna pas et prit appui sur le comptoir pour se hisser et lui voler un baiser. Le meilleur remède à toute saute d'humeur, c'était définitivement Enzo Greenwood. Il lui demanda des nouvelles d'Aquene et elle lui répéta les mots de sa tante, martelés quelques heures plus tôt avec exaspération : « Je vais très bien ! J'ai soixante-dix ans et un gros rhume, pas sept ans et la varicelle ! » Avec le ton nasillard qui va avec, Enzo n'échappa pas à l'éclat de rire. Mais ils avaient beau s'en amuser, ils savaient tous deux que l'inquiétude de Sora n'était pas un simple excès maternaliste. A vivre sans vieillir, perdre ses proches était une réalité inévitable, qu'ils souhaitaient repousser le plus possible.

Accoudés au comptoir, ils discutèrent des derniers évènements. Le sujet des Volturis revint encore une fois sur le tapis et Sora siffla entre ces dents avec haine. Tout ça pour ces Cullen, vraiment... Certes, si ça n'avait pas été chez eux, ça aurait été autre part que ces vampires "royaux" seraient venus emmerder le monde, n'empêche que sans Cullen, pas de problème. Ça sonnait quand même un peu trop enfantin, même pour elle, et elle s'abstint donc d'exprimer à haute voix ses pensées. Ils avaient un problème, un gros problème, et le meilleur moyen de le régler c'était encore de faire face et de ne pas ressasser le passé avec amertume. Comme toujours, Sora hocha donc la tête aux explications de son Alpha et approuva ses décisions, apportant quelques conseils distraits par ci par là. Ils avaient fait le tour et s'étaient promis de se voir le soir même pour un moment en amoureux lorsque la porte de l'épicerie s'ouvrit. Dans une parfaite synchronisation, ils observèrent la nouvelle venue. Parfaite inconnue. Ca n'arrivait pas tous les jours. Mais ça mettait en tout cas fin à leur conversation. Sur un dernier sourire échangé, Enzo s'en alla.

Sora reporta donc toute son attention sur la jeune femme, mignonne petite brunette ayant probablement l'âge d'être lycéenne ou étudiante. Elle ne semblait pas être entrée dans l'optique de faire quelques courses avant de rentrer chez elle à Hanover parce qu'elle aurait fait un détour par la réserve, comme c'était le cas de la majorité des inconnus. Non, elle avait un objectif, et apparemment c'était elle. Allons bon. Enfin, au moins, celle-ci paraissait tout à fait polie et amicale comme cliente, c'était déjà ça. Parce que l'effet apaisant Greenwood ne tenait pas sur la durée.

« Bonjour. Du tout, nous avions fini. » assura Sora, comprenant d'où venait la question (encore une jeune femme trop aimable pour survivre longtemps par les temps qui courent). « C’est moi. Que puis-je pour vous ? »

Curiosité, curiosité, quand tu nous tiens… Ce n’est pas comme si Sora cherchait à être célèbre, elle était donc surprise qu’une inconnue la recherche. Elle se doutait néanmoins que ce n’était pas pour parler épicerie : si Sora avait une certaine renommée, c’était dans un tout autre domaine. Celui affiché dans quelques vitrines accolées aux murs du magasin. D'ailleurs, elle était curieuse de savoir ce qui se trouvait dans ce petit sac que la jeune femme sortit.

La brunette fut soulagée de savoir que son intrusion dans le magasin ne venait pas de faire fuir son second occupant. Elle hocha donc la tête d'un air entendu en esquissant un sourire, avant de demander Sora Kimama. Son interlocutrice se présenta comme telle - ce que Silver avait pu supposer en arrivant, avant de demander en quoi elle pourrait lui être utile. Elle avait l'air plutôt sympathique et l'étudiante avait hâte de faire sa connaissance. Car outre Jacob, elle était également venue ici dans l'espoir d'en connaître plus sur cette réserve, et Sora semblait bien placée pour en savoir un maximum sur ce lieu de vie et ses habitants. Vu son occupation, elle voyait beaucoup de gens tous les jours et les commerçants se trouvaient toujours aux premières loges pour discuter de leur lieu de vie. Silver ne voulait pas se montrer envahissante et ne désirait pas en apprendre plus pour ses études, ça n'avait strictement rien à voir. Elle avait juste envie de découvrir l'endroit où habitait Jacob, et Sora pourrait probablement lui indiquer quelques lieux sympathiques dans les alentours. Même si bien évidemment, la brunette enviait les gens qui se trouvaient ici. Ils lui rappelaient Edgecombe, sa ville natale de laquelle elle avait du partir après la mutation de sa mère. Il s'agissait d'un endroit où tous se connaissaient et se disaient bonjour quand ils se croisaient. Là-bas, personne n'était anonyme et d'ailleurs, les quelques touristes qui s'y arrêtaient s'accordaient tous à dire de ce lieu qu'il n'existait pas plus chaleureux et accueillant. Sil aimait Providence et avait appris à aimer Hanover. Toutefois ces grandes cités où l'on passait inaperçu faisait naître en elle un profond sentiment de solitude par moments. Rien ne lui ferait plus plaisir que de découvrir un endroit comme Edgecombe, et la réserve était peut-être ce qu'elle recherchait si ardemment.
Mais pour l'heure, place à la raison principale de sa venue !

« J'aurais besoin de vos talents d'orfèvre, » annonça-t-elle, tout en retournant le sachet pour faire tomber un bracelet ainsi qu'un loup taillé en bois sur le comptoir. « Jacob Black m'a offert ce cadeau, et il m'a demandé de passer vous voir pour que vous puissiez assembler les deux. »

Silver se garda bien de préciser que Jacob et elle ne se connaissaient que depuis la veille. Cela aurait semblé trop étrange que le jeune homme ait donné ce magnifique bijou à une personne qu'il venait simplement de rencontrer... et tout aussi étrange que Sil l'accepte sans rien dire. Mais là encore, elle se souvint de cette force étrange et inexplicable qui l'avait attirée vers lui. Jake lui manquait comme si on l'avait privée de son soleil, et elle avait tout simplement hâte de le retrouver. Penser à lui était tout ce que la jeune étudiante faisait depuis qu'elle était rentrée de cette fameuse balade dans les bois. A un tel point que Nathan l'avait trouvée bizarre et lui avait demandé si tout allait bien. Evidemment, il fut heureux de constater que pour une fois, oui, elle allait bien... sans en comprendre la raison. Il n'avait pas insisté, car pour lui, c'était ça le plus important. Il se fichait de savoir pourquoi Silver était contente, tant qu'elle ne restait pas sur le canapé à se morfondre. Et ça, c'était terminé. Aujourd'hui, Sil se sentait renaître et pour la première fois depuis la mort de Jackson, elle se levait le matin sans se dire qu'elle allait encore devoir affronter une journée sans son frère, accompagnée partout par cette douleur lancinante que sa perte avait engendrée. Oh, cette douleur était toujours là, mais elle semblait avoir baissé d'intensité. Etait-ce le temps qui faisait son oeuvre ? Ce serait une étrange coïncidence, car elle se sentait mieux depuis hier seulement... depuis sa rencontre avec le dénommé Jacob Black.

« Je présume que vous devez assez bien le connaître, parce qu'il a même dit que vous n'aviez pas intérêt à me demander quoi que ce soit ! » rit-elle, puis elle se pencha un peu plus sur le comptoir, comme pour dire quelque chose sur le ton de la confidence. « Mais entre nous, je ne repartirais pas sans une facture. Je sais à quel point ce travail est minutieux et parfois difficile. Alors si Jacob n'est pas content, vous me l'enverrez ! » ajouta-t-elle sans se départir de son sourire amusé.

Elle aurait bien aimé ne rien dire à Sora de tout cela et se contenter de payer comme si Jake n'avait rien dit. Mais elle ne voulait pas qu'ils se disputent à ce propos par la suite - même si ce serait bien futile de se prendre la tête pour ça, Sil ne les connaissait pas assez pour savoir ce qu'il en serait réellement. Elle ne savait pas non plus si Sora accepterait sa demande ou bien écouterait son ami, mais peu importe sa décision, la jeune femme ne sortirait pas d'ici sans avoir acheté un bijou pour sa mère. Elle était sûre qu'elle allait adorer ! Elle qui travaillait surtout sur les métaux comme l'or ou l'argent, elle n'en restait pas moins une adoratrice de tout ce que l'on pouvait appeler collier, bracelet, bague ou boucle d'oreilles. Il s'agissait, à ses yeux, d'un art bien plus complexe que la plupart des gens ne pouvaient l'imaginer. Un bijou tout droit sorti d'une réserve indienne et entièrement fait à la main constituerait un magnifique cadeau.

La curiosité n'était pas l'une des principales caractéristiques de Sora. Mais lorsqu'il était question d'orfèvrerie et de bijouterie artisanale, son intérêt professionnel était sans fin. Elle correspondait régulièrement avec quelques collègues par le net (pas qu'elle soit une très grande internaute pourtant, les nouvelles technologies avaient un intérêt limité pour elle) ou par la poste, et elle s'était forgée un certain réseau au fil des ans. Elle connaissait le travail de la plupart des artisans indiens, comme elle, et surtout, surtout, elle savait reconnaître les faux au premier coup d'oeil. Et rien ne l'agaçait plus qu'une babiole, prétendue indienne, mais sans aucune... âme. Ainsi, le bracelet qui fut déposé sur son comptoir gagna tout de suite son attention. Il subit une inspection visuelle tout d'abord, puis tactile lorsqu'elle le saisit délicatement entre ses doigts. Et la réalisation se fit au moment même où son interlocutrice mentionna le nom de celui qui l'envoyait.

Elle ne put s'empêcher de lever les yeux, surprise et illumination marquant un instant son visage tandis que les rouages tournaient dans son esprit. Elle avait entendu des rumeurs ce matin... enfin, disons plutôt qu'elle avait subi les commérages d'un jeune loup surexcité. Il lui avait annoncé en secouant sa canette de coca-cola (il s'en était pris plein la figure lorsqu'il s'était décidé à l'ouvrir d'ailleurs) la dernière nouvelle : Jacob Black, le nouveau bêta de la meute, imprégné ! Sora avait pris la nouvelle avec circonspection, se méfiant de telles rumeurs tant qu'elles n'étaient pas confirmées. Mais là... eh bien, elle avait sa confirmation sous les yeux. Elle connaissait assez bien Jacob pour savoir ce qu'il avait prévu de faire de ce bracelet. Les cieux lui soient témoins, Sora n'avait pas été ravie qu'il atterrisse auprès de buveurs de sang. Elle savait également ce qu'Isabella Cullen représentait pour lui. Pour qu'il ait offert à une autre ce présent... il fallait que cette autre ait totalement capturé son attention, son âme... et son coeur.

Après la surprise de la réalisation, Sora ne put s'empêcher de se sentir extrêmement soulagée. Jacob Black imprégné, cela signifiait Jacob Black libéré de l'emprise que cette vampire-en-devenir avait sur son coeur. Elle était ravie. Cette relation qui liait Jake à Bella l'inquiétait au plus haut point. Cette dernière lui avait brisé le coeur, et elle continuait - sans forcément le vouloir ou s'en rendre compte, ce n'était pas la question - à traîner ce coeur dénudé au bout d'une laisse. Elle ne voyait qu'un avenir de mauvais augure pour Jacob si les choses continuaient ainsi, mais le Destin en avait décidé autrement. Cela ne remettrait pas en cause l'amitié entre les deux inséparables, probablement pas, mais cela mettrait un terme à cette vicieuse relation à sens unique.

Un peu plus et Sora se serait levée pour embrassée cette inconnue ! Mais elle avait un peu plus de réserve que cela, grâce à Dieu. Il était évident que la jeune femme n'était pas au courant pour l'imprégnation, ou les choses ne se seraient pas passées ainsi. Non, Jacob avait probablement préféré y aller doucement, ce qui était tout à fait compréhensible. Et personne d'autre que lui n'avait le droit d'expliquer à cette charmante (houla, elle s'emportait) demoiselle ce qu'il en était. Ce moment de blanc temporaire durant lesquels les neurones de Sora avaient fonctionné à la vitesse de lumière ne dura que quelques secondes. Elle reprit rapidement ses esprits et hoche la tête.

« Cela ne prendra pas longtemps, simplement quelques maillons à assembler. » assura-t-elle calmement, avec un parfait contrôle sur sa voix. Il serait très malvenu de se ruer sur le téléphone pour appeler Jacob, encore plus de sauter de joie sur son siège, et ne parlons même pas du fait de ricaner dans sa barbe lorsque son interlocutrice essaya de se renseigner en douce sur son imprégnation. Non, et puis tout cela ne serait vraiment pas très digne du sérieux de Sora Kimama voyons... Le reste des paroles de sa cliente regagnèrent d'ailleurs son attention. Payer ? Hors de question. « Jacob me connait. Je ne vous ferais pas payer, ce n'est qu'une réparation mineure... cela fait partie du service après-vente. » répondit-elle, désinvolte, alors qu'elle se retenait pour ne pas s'outrager à l'idée qu'elle ferait payer une "presque compagne d'un membre de la meute" pour si peu.

Elle se leva de son siège pour aller chercher quelques outils dans l'établi qu'elle avait installé dans un coin du comptoir. Cela lui servait pour s'occuper en absence de clients et, comme ici, pour les répérations mineures. Ses créations étaient après tout parfois fragiles, les accidents étaient courants. Accroupie, elle farfouilla dans sa boîte à outils pour en sortir quelques pinces, un petit sachet et un chalumeau miniature. En passant, elle alluma le poste radio, qu'elle mit en fond sonore. La châine locale correspondait parfaitement à ses goûts musicaux et la musique l'aidait à se concentrer sur son travail. Une chanson des Coldplay égrena ses premières notes.

« Je n'ai pas saisi votre nom... » lança-t-elle avec désinvolture mais sans vraiment chercher à cacher sa curiosité. La jeune femme était au premier abord tout à fait charmante, mais Sora mourrait d'envie d'en savoir plus. Elles étaient amenées à se cotoyer régulièrement maintenant après tout ! « ...mais je parierais que vous êtes à l'université d'Hanover... Jacob a un faible pour les jolies et intelligentes brunettes... Pas que cela lui ait vraiment réussi jusque là. » Lorsqu'elle travaillait, elle avait également la très mauvaise manie de marmonner oour elle ses pensées. Déjà qu'elle n'avait pas beaucoup de tact et de diplomatie en temps normal, lorsque ses doigts travaillaient sa langue n'était plus soumise à aucun contrôle... Et elle ne s'en rendait même pas vraiment compte. Son attention était rivée sur la tige de métal qu'elle avait chauffé pour ensuite la plier en une bague qu'elle fit glisser par un interstice du bracelet. Le plus dur serait de bien accrocher le loup, qui pesait quand même son poids.

Pour avoir une maman passionnée par les bijoux et qui passait son temps à en confectionner, Silver avait appris deux ou trois choses sur le sujet. Ainsi, elle était au courant que mettre un pendentif à un bracelet ne constituait pas un travail de titan et que quelques minutes suffisaient. Toutefois payer Sora lui paraissait important : elle débarquait dans son magasin, venue de nulle part et lui demandait de mettre ses talents à son service, alors que le bijou en question ne provenait peut-être pas d'ici. Comme la jeune femme l'avait si bien dit, ce n'était que du service après-vente, mais pouvait-on parler de service après-vente dans ce cas précis ? Silver se sentait embarrassée de venir lui apporter un bracelet dont elle n'était pas la créatrice et de s'en occuper gratuitement. Néanmoins, Sora ne semblait pas vouloir que l'étudiante sorte son porte-monnaie ; Sil n'insista pas et hocha la tête avant de la remercier comme il se devait. Elle savait de toute façon qu'elle ne sortirait pas d'ici sans un beau cadeau pour sa mère.

Elle le méritait. Elle était la mère la plus géniale au monde, une femme admirable que Silver considérait depuis toute petite comme son modèle, son héroïne. Elle avait élevé ses deux enfants toute seule, abandonnée par leur père du jour au lendemain. Travaillant d'arrache-pied, elle avait fait en sorte qu'ils ne manquent de rien tout en gardant une certaine ambition, afin de pouvoir leur offrir une vie meilleure. Ils n'étaient pas pauvres, loin de là ! Mais ils vivaient en toute modestie, devaient parfois se serrer la ceinture à la fin du mois car le compte en banque virait au rouge. Et peu importe les difficultés rencontrées, elle avait fait de son mieux et avait réussi. Lorsque Sil eut douze ans, la famille Lehane déménagea à Providence : sa mère était enfin reconnue pour son talent. Après cela, tout fut beaucoup plus agréable. Grâce au salaire plus conséquent de la créatrice de bijoux, ils purent s'installer dans une belle maison et se faire plus souvent plaisir. Voilà comment Jackson avait eu une voiture lors de ses seize ans, tout comme Silver qui, rêvant d'une New Beetle noire, avait eu le bonheur d'en voir une dans l'allée, entourée d'un ruban, le matin de son anniversaire. Sa mère était généreuse, bosseuse et douce, mais aussi courageuse. Lors de la mort de Jax, elle était restée forte pour faire comprendre à sa fille que la vie continuait. Elle était tout aussi dévastée mais ne voulait pas voir son second enfant sombrer, descendre au fin fond d'un gouffre dont elle ne se sortirait jamais. Si Sil avait trouvé la force de retourner à Hanover pour continuer ses études, c'était uniquement grâce à sa mère.

Pour la remercier de tout cela - et tout simplement d'être elle-même, Silver avait envie de lui offrir quelque chose de singulier. Elle avait trouvé ce que cet objet serait à la seconde même où elle avait mis les pieds dans cette petite boutique. Alors qu'elle songeait à sa mère et à ce qu'elle pourrait bien lui choisir, Sora avait commencé son travail. Elle s'était levée de son siège pour récupérer quelques outils et fouillait désormais dans une boîte, à la recherche de ce qui lui serait indispensable pour accrocher le pendentif au bracelet. Lorsqu'elle alluma le poste de radio, Silver reconnut l'une de ses chansons préférées de Coldplay, un groupe qu'elle adorait, et esquissa un petit sourire presque nostalgique. Cette musique, bien qu'en fond sonore, lui rappelait que dernièrement, elle n'en écoutait quasiment plus. Elle avait totalement arrêté alors que peu de temps auparavant, cela lui était indispensable, autant que l'air dans ses poumons. Elle en mettait tout le temps : quand elle allait sous la douche, quand elle faisait le ménage, quand elle se trouvait en voiture - même pour un court trajet... Et il ne se passait pas un jour sans que Silver ne prenne sa guitare et joue quelques chansons afin de se détendre après une grosse journée. Sa guitare... qui était en train de prendre la poussière depuis plusieurs mois, tout comme sa chaîne hi-fi. Intérieurement, Sil se promit de remédier à tout cela dans la semaine. Mieux encore : dès qu'elle serait de retour dans sa New Beetle pour rentrer chez elle, elle allumerait la radio. Elle en avait assez de se morfondre, maintenant elle voulait revivre.

Sora lui lança alors qu'elle n'avait pas saisi son nom - bien sûr, quelle impolie ! Elle ne s'était même pas présentée ! Sil ouvrit la bouche pour remédier à ses mauvaises manières mais l'orfèvre ne lui en laissa pas le temps : concentrée sur son travail, elle ajouta que la jeune femme était certainement une étudiante à l'université de la ville voisine, car Jacob avait toujours eu un faible pour les brunettes à la fois jolies et intelligentes, bien que cela ne lui ait pas réussi jusque-là. La brunette en question ne sut pas vraiment comment réagir. Elle avait envie de remercier Sora pour le compliment, mais ce qu'elle venait de lui dire sur Jacob brouilla entièrement ses pensées. Sil était appuyée sur le comptoir afin d'observer le boulot de Sora - elle aimait voir ce genre de choses, ça lui rappelait son enfance et les heures passées à regarder sa mère faire pareil. Elle se pencha un peu plus vers elle et demanda, ayant du mal à dissimuler sa jalousie :

« Ah. La fameuse Bella, non ? »

En effet, elle se souvenait de sa discussion avec Jacob, la veille. Il lui avait avoué être venu ici pour cette amie, et qu'auparavant il avait des sentiments bien plus forts à son égard mais que tout ceci était du passé. Silver avait immédiatement compris, même si elle n'avait aucune idée de la couleur de cheveux de cette Bella. Néanmoins, quelque chose lui disait que la remarque de Sora avait forcément un lien avec elle, à moins que Jacob ne soit un tombeur qui accumule les conquêtes... ce qui paraissait étrange à imaginer. Il avait tout l'air d'un jeune homme aussi respectueux que respectable. Réalisant qu'une nouvelle fois, elle tournait la conversation sur lui sans même s'être présentée, Sil secoua la tête et esquissa un sourire gêné.

« Excusez-moi, je suis impardonnable parfois. Je m'appelle Silver Lehane, et effectivement, je suis étudiante à Dartmouth. Je ne sais pas si je dois être rassurée ou pas de ce rapprochement ! » rit-elle, un brin nerveusement. « En tout cas, Jacob doit vraiment tenir à elle, il m'a raconté être venu ici pour l'accompagner. Il a quitté ses repères, et a traversé tout le territoire américain afin d'être à ses côtés... Ce n'est pas quelque chose que l'on fait pour n'importe qui. »

Sil ne savait pas vraiment quoi penser de cette relation qu'entretenaient Jacob et Bella. Elle n'avait que peu d'éléments en sa possession et ne pouvait donc pas juger. Elle espérait que Sora réagisse à ce qu'elle venait de dire, si possible du bon côté - en lui affirmant que Bella n'était rien de plus qu'une amie par exemple. Mais Silver avait du mal à imaginer que l'on puisse faire des milliers de kilomètres pour rester avec quelqu'un qui n'était, à nos yeux, qu'un simple ami. D'accord, Nathan avait tout quitté pour venir près d'elle, mes les choses étaient différentes ! Ils étaient proches, d'une complicité qu'elle jugeait unique, sans aucune ambiguïté possible. Et puis, Sil venait de perdre son frère aîné. Bella avait-elle également vécu une telle tragédie pour que Jacob en fasse autant ? Tant de questions sur cette jeune inconnue... Sil se sentait, encore une fois, hors de sa personne, comme si elle ne commandait plus son propre corps. Une part d'elle-même se demandait comment elle pouvait se montrer aussi attachée à Jacob et aussi jalouse alors qu'elle ne le connaissait que depuis vingt-quatre heures à peine. Mais son coeur, lui, trouvait cela normal et semblait persuadée que cette rencontre mènerait à quelque chose de grand... et il ferait tout pour ne pas passer à côté.

Sora n'avait jamais eu l'occasion d'échanger ne serait-ce que quelques mots avec Isabella Cullen. Certes, elles s'étaient croisées, à plusieurs reprises : lors de l'arrivée des Cullen sur leur territoire, lorsqu'elle visitait Jacob, et lors de l'intervention des loups pour sauver (rien de moins) les Cullen des Volturis ; mais Sora n'avait jamais ressenti le besoin de faire connaissance avec une humaine amoureuse d'un vampire. Il était évident qu'elles avaient des opinions tout à fait opposées sur des points essentiels. Depuis le début, lorsqu'elle avait appris sa position, elle avait considéré cette Bella comme une écervelée. Lorsqu'elle avait appris que cette fille avait repoussé l'amour de Jacob pour cet Edward, son opinion s'était fixée dans le marbre, et rien ni personne ne pourrait la convaincre du contraire. Elle avait soigneusement évité le sujet avec Jacob, sachant la chose trop délicate et qu'elle ne ferait qu'aggraver les choses en l'abordant, mais elle n'en pensait pas moins. Et il n'y avait pas plus frustrant que le fait d'être obligée de supporter cet entichement à sens unique de Jacob à chaque fois qu'elle se transformait. Tous ces sentiments profonds comprimés et saupoudrés de l'amertume du rejet avait un goût acide absolument révoltant.

Elle était donc prête à supporter toute qui allait de paire avec l'imprégnation d'un frère rien que pour ce que cela signifiait : que Jacob tourne la page et que Sora soit débarrassée de cette Bella-obsession ! Et pourtant, la dernière imprégnation qui avait eu lieu chez les Winnipesaukee lui avait mis les crocs, ses frères s'en souvenaient encore et l'avaient charrié un temps en pensant qu'elle était jalouse. Jalouse de ne pas pouvoir vivre cela avec Enzo, peut-être, mais surtout dégoutée par tous ces bons sentiments dégoulinant qui monopolisaient les esprits. Quand on n'était pas de bonne humeur soit même, c'était plus frustrant qu'autre chose que de devoir supporter tant d'engouement et d'amûûûûûr. Mais cette fois-ci, cette fois-ci, elle serait bien trop ravie : supporter l'amour d'un frère pour une charmante imprégnation valait cent fois mieux que supporter l'affection à sens unique d'un frère envers une stupide humaine entichée d'un vampire puant. Non, il n'y avait pas photo, elle gagnait au change.

« Moui, Bella Cullen... » approuva-t-elle distraitement. Elle fronçait les paupières, concentrant sa vue perçante sur ces maillons récalcitrants. Son champ de vision s'était considérablement réduit, et avec lui son attention pour la discussion. Elle conversait en mode automatique. « Très intelligente parait-il, mais pour préférer un bloc de glace puant et méprisant à Jake, il faut clairement avoir une case en moins. » Elle déposa délicatement le bracelet sur lequel elle avait soudé un premier maillon et releva les yeux sur son interlocutrice. Celle-ci s'était penchée vers elle pendant qu'elle travaillait, apparemment fascinée par son œuvre (ou ses révélations ?). Elle lui sourit amicalement, ses yeux pétillant d'un léger amusement. Elle n'était pas dupe, elle devinait que la jeune femme mourrait d'envie d'en savoir plus sur Jacob. Sora se serait bien amusée à satisfaire toute sa curiosité, mais elle doutait que Jacob soit très content qu'elle raconte tous ses secrets à son imprégnation. « Enchantée Silver. » Un joli prénom ça.

« Vous ne pouvez pas être pire qu'elle. » reprit Sora en récupérant le loup sculpté, l'observant sous toutes les coutures pour trouver le meilleur angle d'attaque. « Elle lui a brisé le cœur... Et c'était avant qu'il vienne ici. Je suppose que je devrais au moins lui en être reconnaissante, sans elle je ne l'aurais pas rencontré. » Ses réflexions prenaient forme sur ses lèvres tandis qu'elle attrapait un nouveau morceau de fer, plus épais que le précédent, qu'elle chauffa au chalumeau pour le plier. L'idée d'être redevable de quelque manière que ce soit à Isabella Cullen la fit grimacer, mais, après réflexion, l'humaine leur devait bien plus encore (sans l'intervention des Winnipesaukee, elle ne serait déjà pas plus de ce monde). « Mais il était vraiment temps qu'il passe à autre chose. »

Elle inséra la bague de fer dans l'accroche que Jacob avait prévu à cet effet, puis dans le maillon qui le relierait au bracelet. Elle se tut un instant pour se concentrer sur cette étape délicate. Du bout de sa pince, elle rejoignit les deux extrémités du fer. De l'autre main, elle attrapa une fine baguette de métal flexible qu'elle enroula autour avant de chauffer doucement le tout du bout de son mini chalumeau, faisant attention de ne pas approcher la flamme de celui-ci du bois. Une fois la manœuvre terminée, elle reposa ses instruments et vérifia d'un œil critique le résultat. Il fallait attendre le refroidissement pour être sûr de la solidité du dispositif, mais aucun défaut majeure ne semblait se manifester. Satisfaite, elle se redressa.

« Voilà, il faut quelques minutes pour que les soudures refroidissent. Je vous offre quelque chose à boire ? » proposa-t-elle en se levant de son tabouret. Elle attrapa une bouilloire électrique, qu'elle passa sous le robinet pour la remplir avant de la mettre en marche. Le comptoir était bien équipé pour le confort de ses propriétaires, qui y passaient une bonne partie de leurs journées. Bien que se considérant perspicace d'avoir deviner l'intérêt que Silver avait pour toute information sur le sujet de Jacob, elle ne réalisait pas tout à fait l'impact qu'avait ses paroles (qu'elle pensait banales, n'y ayant pas porté beaucoup de réflexion, trop occupée par son travail) sur la jeune femme. Elle vaquait donc à ses occupations comme si de rien n'était.

Si la concentration de Sora se trouvait entièrement dans son travail sur le bracelet, cela ne l'empêchait en rien de faire la conversation. Silver avait mentionné Bella en espérant que la jeune femme lui en apprendrait plus sur cette inconnue, à laquelle Jacob semblait si attaché. Désormais elle n'était plus certaine de vouloir les informations que détenait Sora. Celle-ci lui apprit tout d'abord son nom de famille : Cullen. Evidemment cela ne dit strictement rien à Sil qui ne connaissait aucune personne portant ce patronyme ; ce qui ne l'étonna pas. Il aurait fallu le plus grand des hasards pour que le contraire se soit produit. Sora annonça que cette Bella était intelligente selon les dires mais avoua également son désaccord. Apparemment elle avait préféré « un bloc de glace puant et méprisant » à Jacob Black, ce qui n'était pas à son goût et prouvait au contraire la bêtise de Bella. Silver haussa un sourcil, tentant de décoder la phrase. Le bloc de glace était forcément une métaphore pour indiquer qu'il était froid avec les gens, quant à puant... elle devait bien avouer être perdue sur ce point. Sora dirait-elle aussi simplement à une inconnue que Bella sortait avec quelqu'un qui n'avait aucune hygiène ? Elle préférait carrément ne pas y penser, en tous les cas cette révélation la perturba quelque peu. Sora avait l'air extrêmement sympathique, lui souriant de manière amicale et chaleureuse. Soit elle cachait bien son jeu, soit cette Bella était vraiment désagréable pour inspirer de telles remarques à l'orfèvre. Sil ne les connaissait pas assez bien pour juger - voire pas du tout dans le cas de la demoiselle Cullen - mais elle préférait se dire que Sora avait raison. Car bien que les deux étudiantes ne se connaissent pas, Bella et Silver se trouvaient malgré tout en compétition, du moins en quelque sorte. Du coup pour le moment, Sil n'avait pas franchement envie de se dire que Sora y allait un peu fort. Comment défendre celle qui faisait naître un tel sentiment de jalousie en elle ? Impossible.

Néanmoins, parmi tout cela, quelque chose semblait positif : Bella avait choisi un autre homme. Elle n'avait pas encore tous les éléments en main mais se disait que Jacob avait du beaucoup souffrir de cette décision, ayant avoué l'avoir aimé bien que de tels sentiments ne soient plus d'actualité. Le principal était qu'il s'en soit entièrement remis... et que Bella ne change pas d'avis. Comme ils semblaient encore se côtoyer, c'était une possibilité tout à fait envisageable, mais qui n'était pas pour plaire à Silver. Elle ne connaissait Jake que depuis la ville, mais de son point de vue, il lui appartenait déjà. Ou plutôt, ils s'appartenaient déjà. Ainsi, tout autre fille était à exclure, sauf si Silver était certaine que la relation restait strictement amicale.
Faisant la remarque à Sora sur le rapprochement d'avec Bella, Sil s'entendit dire qu'elle ne pouvait pas être pire que cette jeune femme. Une nouvelle fois, elle haussa un sourcil, se demandant quel autre détail Sora allait lui révéler pour justifier son opinion. Elle expliqua que Bella avait brisé le coeur de Jacob avant qu'il ne déménage pour elle et qu'il était temps qu'il passe à autre chose. Alors là... Il y avait clairement anguille sous roche, et Sil ne fut plus tout à fait certaine que le charmant amérindien avait vraiment oublié son amour pour Bella. Sinon pourquoi la suivre jusqu'à Hanover après ? Le propre coeur de la brunette se serra dans sa poitrine, et de nombreux doutes l'assaillirent. Pourquoi avoir déménagé malgré tout ? Et s'il était encore amoureux de Bella, pourquoi avait-il offert ce magnifique cadeau à Sil le jour même de leur rencontre ? Elle se souvenait de la façon dont il avait replacé une mèche de cheveux derrière son oreille. De son regard qui en disait long sur son impatience de la revoir, pour lui raconter les légendes de son peuple... comme il lui avait promis.

Silver se trouvait dans le noir total suite aux révélations de Sora et ne savait que penser. Elle était un brin perturbée et cela devait forcément se voir sur son visage, car elle était complètement perdue dans la masse d'interrogations qui l'occupait. D'ailleurs la jeune femme n'avait même pas remarqué que Sora avait fini son travail sur le bracelet et sa voix la fit presque sursauter. L'orfèvre se trouvait de nouveau tourné vers elle et lui expliqua que les soudures ne mettraient que quelques minutes à refroidir, proposant alors à boire. Silver se concentra de nouveau sur son interlocutrice et esquissa un sourire, se disant qu'il valait mieux mettre Jacob de côté pour le moment. Bizarrement, elle n'avait plus envie que la conversation soit centrée sur lui, ayant peur d'apprendre quelque chose qui la ferait encore plus douter. Sora n'avait rien dit de choquant en soi sauf une chose : que Jacob avait déménagé après que Bella lui ait brisé le coeur en lui avouant qu'elle préférait quelqu'un d'autre. Du coup, elle ne savait pas si Jake l'avait suivie simplement en tant qu'ami ou s'il espérait encore la récupérer...

« Volontiers, merci beaucoup. »

Elle hésita quelques secondes, ne sachant si elle pouvait se confier à Sora. Après tout elle ne la connaissait pas plus que ça et n'avait pas envie de se montrer insistante. Ni que la jeune femme ne la trouve bizarre pour être aussi avide de toute information sur Jacob Black, alors qu'ils ne s'étaient rencontrés qu'hier après-midi. Pourtant, quelque chose la poussait à poser ses questions. Comme si elle se savait incapable de les supporter bien longtemps et que seule une réponse claire et précise réussirait à calmer ses appréhensions. Sora était-elle la bonne personne, celle qui pouvait lui assurer que Jake avait vraiment oublié Bella ? Etaient-ils assez proches pour qu'elle sache ce que le jeune homme ressentait au plus profond de lui-même ? Silver décida de tenter le coup même si elle s'apprêtait peut-être à passer pour quelqu'un d'un peu trop curieux... ou d'un peu trop accro. Elle se dandina sur ses pieds un instant, mal à l'aise, et se lança enfin, d'une voix peu assurée.

« Dîtes-moi... Vous semblez bien connaître Jacob. Vous savez pourquoi il a tout quitté pour suivre Bella, même si elle venait de lui briser le coeur ? Avant, ça aurait été compréhensible mais là... C'est comme s'il était encore amoureux d'elle et qu'il espérait qu'elle revienne vers lui. » Ce fut seulement en prononçant ces mots que Silver se rendit compte de son indiscrétion. Ca sonnait vraiment peu approprié. Ses joues ne tardèrent pas à prendre une teinte un peu plus rose que la normale et elle bafouilla des excuses pour justifier son comportement. « C'est que... J'avoue que j'apprécie beaucoup Jacob et... je pensais avec ce cadeau que le sentiment était partagé... Seulement je me demande... Je voudrais être certaine que Bella est juste une amie avant de... Enfin... » Elle se coupa quelques secondes puis secoua la tête, dépitée. « Je suis vraiment désolée. Je vous promets que je ne suis pas aussi curieuse d'habitude. Du moins, je sais me tenir avant de poser toutes les questions qui me passent par la tête à une personne que je ne connais que depuis dix minutes. »

Elle esquissa un sourire, à la fois franc et amusé - même si elle avait plutôt envie de se planquer dans un trou de souris. Si Nate était là, nul doute qu'il écarquillerait les yeux en se demandant qui habitait le corps de sa meilleure amie. Depuis sa rencontre avec Jake, elle se sentait terriblement différente. Elle savait sans arriver à comprendre pourquoi que pour n'importe quel autre garçon, elle n'aurait jamais osé en arriver là. Pourtant, une volonté plus forte que tout naissait en elle quand il s'agissait de l'amérindien et d'en apprendre plus sur lui. Elle prenait le contrôle sur tout le reste et la forçait à creuser, à tirer les vers du nez de ceux qu'elle croisait pour qu'ils leur révèlent la moindre anecdote concernant Jacob. Un peu plus, et on la considérerait comme une psychopathe obsédée par sa proie. Pourtant, elle n'arrivait pas à s'arrêter. La preuve : elle avait parfaitement conscience de pousser le bouchon, et pourtant elle continuait à harceler Sora. Et elle n'était même pas sûre de ne pas revenir à la charge si la jeune orfèvre décidait qu'elle en avait déjà dit assez...
Décidément, ça ne lui ressemblait pas du tout. Qui était ce Jacob Black pour réussir à changer jusqu'à sa nature profonde ?

« Vous croyez aux coups de foudre ? » demanda-t-elle alors de but en blanc.

Bien que la maladresse verbale de Sora ne soit pas une nouveauté en soit, en temps normal cette maladresse, ou plutôt "manque de tact" était plus ou moins volontaire, ou en tout cas consciente. Cela faisait partie de son caractère, et ayant bien dépassé l'âge de l'adolescence, elle s'était depuis bien longtemps acceptée telle qu'elle était, et s'en satisfaisait pleinement. La franchise était son habitude et les ronds de jambe ce qu'elle abhorrait. Mais elle ne se considérait pas du tout comme une pipelette écervelée, et c'est l'impression qu'elle se donna pourtant en réfléchissant à tout ce qu'elle venait de dire sans même y penser. Certes, elle avait prévu de dévoiler quelques détails à cette demoiselle en manque viscéral d'informations sur son coup de foudre, mais discourir sur les choix sentimentaux d'Isabella Cullen n'avait pas vraiment été prévu au programme. Cela lui avait échappé... et il valait mieux espérer que cela ne revienne pas aux oreilles de Jacob, il n'apprécierait probablement pas, même si, stricto sensu, elle avait plus critiqué Edward Cullen que Bella Cullen... encore que c'était à revoir, elle incluait les deux dans le même sac après tout, malgré leur différence majeure évidente qui ne manquerait pas de bientôt disparaitre. Enfin... ça lui avait échappé quoi !

Peu repentante pour autant (elle n'avait encore une fois dit que ce qu'elle pensait), elle sortit deux tasses propres et un ensemble de sachet de thé qu'elle déposa sur le comptoir, accompagnés de sucre, de petites cuillères et d'un pot de café soluble. La bouilloire augmentait de volume sonore et Sora la débrancha bientôt. Elle remplit les tasses, après en avoir proposé à son interlocutrice. Elle lui aurait bien donné le choix avec un chocolat chaud, malheureusement il aurait fallu pour cela qu'elle monte dans l'appartement chauffer le lait, et elle ne tenait pas à déranger sa tante, qu'elle espérait voir se reposer. Elle choisit pour elle-même un sachet de thé fort accompagné d'un morceau de sucre. Et en attendant que le thé diffuse et le sucre fonde, elle fixa son interlocutrice, un peu mal à l'aise quand même : à vouloir assouvir un brin de sa curiosité, voilà qu'elle l'avait mis dans un de ces états... Tellement qu'elle en avait avoué ses sentiments pour Jacob, or elle ne semblait pas du genre à épancher ses sentiments sur le premier venu. Elle aurait probablement mieux fait de laisser les deux tourtereaux discuter de tout cela entre eux, mais maintenant qu'elle s'était avancée sur sa pente glissante, il serait déraisonnable de tenter de s'esquiver arrivé là.

« Jacob va me tuer pour vous avoir raconter tout cela. » soupira-t-elle avec un brin d'autodérision. Ce serait bien fait pour elle, il fallait l'avouer. Elle secoua distraitement la tête. Cherchant ses mots (pour la première fois depuis que Silver avait poussé la porte), elle réfléchit à la manière de répondre aux doutes qu'elle avait semé dans le coeur de son interlocutrice. Elle s'assit sur son tabouret et croisa les chevilles, comme pour se préparer à une dure conversation. « Je ne prétend pas savoir tout ce qui se passe dans la tête et le coeur de Jacob. » Et tant mieux d'ailleurs, ce qu'elle en savait lui suffisait amplement. « Mais je ne pense pas qu'il soit toujours amoureux de Bella au sens où vous l'entendez. » commença-t-elle pour mettre les choses au clair avant de développer sa pensée. « Il sait qu'elle ne reviendra pas vers lui, d'une part ; et, comme vous le dites, il ne vous aurait pas donné ce bracelet si ça avait été le cas par ailleurs. » A moins qu'il ne courre deux lapins, mais avec une imprégnation c'était plus que difficile, et ça ne ressemblait nullement à Jacob.

« Cependant, il faut aussi comprendre que Jacob n'est pas du genre à rejeter quelqu'un pour qui il a des sentiment sincères d'amitié, quelque soit le mal qu'elle lui ait fait. Tous deux se connaissent depuis longtemps et partagent des souvenirs communs dont je n'ai pas idée. Ce que je sais c'est qu'il a toujours été là pour elle et quoi qu'elle lui ait fait, il le restera. Cela fait partie de son caractère : c'est un Protecteur. » Dans les deux sens du terme. « Ses sentiments étaient si sincères que je doute qu'ils aient pu disparaitre d'un claquement de doigt, cela lui a pris du temps, c'est normal, et son affection pour elle ne s'effacera probablement jamais totalement, mais aujourd'hui c'est une amitié forte qui les lie plus qu'autre chose. »

Avec un peu de chance, elle avait réussi à sortir son épingle du jeu et à mettre les choses au clair. Elle observa l'expression de Silver avec attention pour essayer de deviner si elle avait répondu à ses doutes ou pas. Elle essayait de comprendre la jeune femme, cela ne devait pas être facile à vivre une telle affection subite pour un inconnu. Elle avait du mal à se mettre à sa place (elle n'aurait probablement pas gérer les choses de la même manière), mais en tout cas elle ne la jugeait pas. En tant qu'imprégnation, Silver ferait partie de la famille étendue de la meute, et elle espérait simplement qu'elle s'y intégrerait bien. Sora ne s'était peut-être pas très bien débrouillée pour une première rencontre, mais elle tenait à ce que Silver comprenne qu'elle pouvait être franche avec elle, qu'elle ne la jugerait pas. Elle lui adressa donc un sourire encourageant et ouvert. « Ce n'est rien. » assura-t-elle lorsque Silver se sentit obligée de s'excuser de la questionner ainsi.

Sora pressa le sachet de thé pendant dans sa tasse pour en extraire les derniers arômes, avant de le lancer dans la poubelle d'un coup de main expert. Utilisant sa cuillère pour touiller son breuvage, elle avait les yeux baissés sur sa tasse lorsque Silver lui posa LA question inattendue et prise de tête. Elle releva alors les yeux, l'expression indéchiffrable. Devant n'importe quelle jeune fille, elle aurait répondu non, sans hésitation et sans détour. Devant quelqu'un qui venait de s'imprégner d'un loup, c'était un peu plus délicat. « Je crois en des choses qui dépassent notre entendement. » se contenta-t-elle alors de répondre, énigmatique. Que Silver interprète cela comme elle le désirait, après tout elle était dans une réserve indienne, face à une créatrice de bijoux aux propriétés magiques ancestrales.

De nombreuses interrogations tournaient dans l'esprit de Silver ; des questions qui ne pourraient avoir de vraies réponses que si elle les posait directement à Jacob. Et encore. Lui dirait-il l'entière vérité sur ses sentiments pour cette Bella ? Sora semblait certaine que leur relation soit strictement amicale depuis quelques temps, toutefois la jeune orfèvre ne se trouvait pas dans la tête de son ami. Rien ne disait qu'elle avait vu juste. Sil était fort bien placée pour savoir que chacun avait son petit jardin secret, un endroit inaccessible aux autres où l'on cachait les choses que l'on souhaitait garder pour soi. Celui de l'étudiante était plein depuis la mort de Jackson, occupé notamment par son envie de vengeance sur l'assassin de son frère. Elle n'en avait parlé à personne, car d'habitude elle était plutôt contre la violence, de fait ses proches ne comprendraient pas. Ils seraient à la fois outrés, inquiets et effrayés si Silver venait à leur dire que parfois, elle s'imaginait faire souffrir les pires tortures à l'homme qui avait osé s'en prendre à la personne qu'elle aimait le plus au monde. Et encore aujourd'hui, personne ne savait. Pourtant, Sil avait du mal à mentir, toutefois ni sa mère ni Nathan ne se doutaient de ce qu'elle dissimulait au fond d'elle. Ce sentiment de rage bouillonnante, cette envie de s'en prendre à cet inconnu jusqu'à ce qu'il ait eu ce qu'il méritait. Une pulsion qu'on ne lui connaissait pas, elle qui haïssait voir les gens se servir de leurs poings pour des raisons invraisemblables et bien souvent injustifiées.

Oui, il était facile de dissimuler des choses aux autres grâce à ce petit jardin secret que chacun possédait. Etait-ce possible que Jacob l'utilise pour y mettre l'amour qu'il éprouvait pour Bella ? Un amour beaucoup plus fort que la relation amicale qu'on leur prêtait désormais ? Attendait-il désespérément qu'elle revienne vers lui un jour, tout en se disant que jusque-là, il pouvait très bien être avec quelqu'un d'autre ? Souhaitait-il se rapprocher de Sil uniquement pour tenter de faire naître en Bella un sentiment de jalousie ? Dans ce cas, le bracelet pourrait être un détail qui l'irriterait encore plus ; Jake allait le plus loin possible pour être sûr de ne pas rater son coup...
Silver s'était en quelque sorte habituée au bruit de la bouilloire, mais celui des tasses et des cuillères sur le comptoir la sortit de ses pensées. Elle réalisa que durant une poignée de secondes - ou minutes ? - elle avait eu les yeux dans le vide, les sourcils froncés et aucune attention envers son interlocutrice. Elle leva les yeux vers cette dernière, occupée à remplir les deux tasses d'une eau bien fumante. Silver se mit une claque mentale, embarrassée et surtout énervée : elle n'aimait pas que son esprit lui joue de tels tours. Non seulement il refusait de penser à autre chose qu'à Jacob depuis la veille, mais en plus il la noyait sous de nombreux doutes que le jeune homme ne méritait probablement pas. Poussant un soupir discret, afin que Sora ne le prenne pas malencontreusement pour elle, Silver choisit un sachet de thé aux fruits rouges et le déposa dans l'eau brûlante. Puis elle esquissa un sourire afin de remercier Sora.

Alors qu'elle ajoutait un sucre dans sa boisson, cette denière avoua que Jacob allait la tuer pour lui avoir raconté toutes ces choses - effectivement plutôt personnelles. Sil fit une moue d'excuse : après tout, c'était de sa faute, Sora n'en serait jamais arrivée là si l'étudiante ne l'avait pas poussée avec ses questions. Mais malgré cela, elle en avait déjà posé d'autres auxquelles l'orfèvre devaient encore répondre, et celle-ci s'y attela aussitôt. Elle prit le parti de rassurer Silver, lui disant que Jake n'était plus amoureux de Bella, que sinon il ne lui aurait jamais fait un tel cadeau. Néanmoins, elle tempéra ses propos, essayant de faire comprendre à la brunette que tous deux étaient proches et que son caractère protecteur voulait qu'il ne la laisse pas tomber, malgré le mal qu'elle lui avait fait. Apparemment, ils seraient toujours proches et complices, mais uniquement amis.
Silver fit tout de suite le lien avec Nathan et elle-même. Peu après leur rencontre, Nate avait éprouvé des sentiments amoureux pour Sil, et ne le lui avait pas caché. Mais elle ne le voyait pas de cette façon : pour la jeune femme, Nathan était comme un second grand frère. Nul doute qu'il avait eu du mal à oublier ce qu'il ressentait, et pourtant aujourd'hui il ne restait plus aucune trace de cet amour-là. Nate avait réussi à voir Silver comme une amie proche qu'il se devait de protéger, plus comme une future petite-amie. S'il avait pu le faire, pourquoi Jacob en serait-il incapable ? Cette pensée la réconforta soudain, et elle se dit que Sora devait avoir entièrement raison. Sil ne devait pas s'inquiéter, ni douter de la sincérité de sa nouvelle rencontre. Elle aurait tort.

De but en blanc, elle demanda alors à Sora si elle croyait aux coups de foudre, car c'était ce qui décrivait le mieux sa propre relation avec l'amérindien. Elle ne le connaissait que depuis quelques heures et pourtant il lui manquait déjà. Elle avait envie de le revoir, très vite, le plus rapidement possible. Et quand elle jetait un oeil au bracelet qui reposait sur l'espace de travail de Sora, Silver avait cette impression qu'il manquait quelque chose autour de son poignet : elle était terriblement impatiente de le porter, pour ne plus jamais l'enlever. Il lui suffisait de penser à Jacob, de parler de lui, pour que son coeur s'accélère et que les images de leur balade dans la forêt lui reviennent en mémoire. Elle en rêvait même en allant se coucher, imaginant ce que les choses auraient pu être si elles s'étaient passées différemment. Par exemple, s'il avait fait plus que remettre en place une mèche de ses cheveux, peu avant de partir.
Silver ne savait pas quelle réponse elle attendait de Sora, d'ailleurs l'orfèvre resta bien évasive sur le sujet. Elle croyait « en des choses qui dépassent notre entendement », mais cela englobait beaucoup trop de phénomènes à la fois, pas simplement ce que l'on appelait le coup de foudre. Toutefois, Sil ressentit un certain contentement ; au moins, Sora semblait partager un tant soit peu son opinion, et puis elle avait besoin d'entendre qu'elle n'était pas folle de s'emballer à ce point pour une personne tout juste rencontrée. Ca ne lui ressemblait tellement pas ! Ce fut sur cette pensée que son téléphone portable se mit à vibrer dans la poche de son jean. Elle le sortit rapidement et lut le prénom de Nathan sur son écran.

« Je suis vraiment désolée, je dois répondre ou je risque d'avoir tous les policiers de Hanover à ma recherche d'ici dix minutes, » s'excusa-t-elle avec humour, tout en s'éloignant un peu vers le milieu de la pièce.

Son meilleur ami n'aurait pas vraiment paniqué si elle n'avait pas décroché : il ne savait pas si elle avait fini les cours ou non, vu que celui auquel elle devrait se trouver à cet instant précis avait été annulé aujourd'hui-même. Mais elle n'aimait pas l'ignorer si elle pouvait l'éviter, et à vrai dire elle se demandait aussi pourquoi il l'appelait alors que techniquement, il travaillait jusqu'à dix-huit heures ce soir. Nathan lui annonça qu'il avait terminé plus tôt et il voulait savoir ce qu'il en était de son côté. Elle lui expliqua pour son cours, précisant qu'elle se trouvait à la réserve indienne près de Hanover pour faire réparer un bracelet ; plus précisément à la boutique des Kimama. S'il en fut étonné, il le cacha bien et proposa simplement de la rejoindre. Elle accepta avec joie, se disant qu'ils pourraient aller faire un tour dans la forêt ensuite. Elle avait, après tout, une magnifique plage de galets à lui montrer, et un brin de promenade ne leur ferait que du bien. Après avoir raccroché, Sil revint vers le comptoir.

« Excusez-moi. Mon meilleur ami est aussi un véritable ange gardien, et je n'aurais pas voulu l'inquiéter inutilement. Et puis, me rejoindre ici lui fera l'occasion de découvrir ce magnifique endroit. » Elle tira les deux fils de son sachet pour le resserrer, touilla un peu son eau arômatisée qui avait pris une couleur pourpre et déposa ce même sachet sur sa cuillère, afin de ne pas tacher le comptoir. « Ce thé est vraiment délicieux, » dit-elle après une première gorgée. Et enfin, elle délaissa Jacob pour aborder la seconde raison de sa venue ici. « Vous savez, ma mère crée des bijoux aussi. Aujourd'hui elle est en plus la responsable d'un magasin vraiment très prisé à Providence - d'où je viens. Certaines de ses créations sont des modèles uniques et les gens en redemandent. Pourtant elle a commencé en bas de l'échelle et a du mal à faire reconnaître son talent. Je suis très fière de ce qu'elle a accompli, et pour cela, moi aussi j'aimerais lui offrir un bijou unique. Même si elle travaille avec d'autres matériaux que vous, je sais qu'elle adorerait tout autant que moi ce que vous faîtes et qu'un tel cadeau lui ferait vraiment très plaisir. »

Silver n'était pas du genre à raconter sa vie au premier venu, mais Sora et sa mère avaient ce grand point commun qu'était l'orfèvrerie. Elle avait donc trouvé cela approprié d'en discuter avec la jeune femme, simplement parce que cela leur permettait aussi de faire un peu la conversation sur un intérêt qu'elles partageaient. La brunette but encore un peu de son thé et attendit de voir ce que Sora avait à lui proposer.

A priori, si ses capacités d'observation et d'analyse de l'expression d'une jeune femme en mal d'amour était exact (ce qui était contestable vu son peu d'expérience personnelle en la matière), Sora ne s'était pas trop mal débrouillée dans son discours. Elle avait en tout cas été assez claire avec ses réponses pour ne pas subir une autre volée d'interrogations. Elle n'avait rien contre les points d'interrogation, mais ça exigeait généralement de réfléchir un peu plus à ce qu'elle répondait que ce qu'elle en avait l'habitude. Et elle était juste un brin flemmarde face à ce genre d'efforts cérébraux. D'autant plus que faire attention à ne pas dire quoi que ce soit qui vexe ou blesse quelqu'un était généralement très loin de ses priorités. C'était bien parce que Silver était une jeune femme charmante, imprégnation de l'un de ses frères de meute qui plus est, qu'elle se donnait tout ce mal !

Soulagée d'avoir rattrapé ses bourdes du début, Sora put boire une gorgée de son thé sans risquer - a priori - de se brûler si une question inattendue surgissait. Son interlocutrice était perdue dans ses pensées, digérant ce qui venait de lui être répondu, tandis que son thé fumait doucement devant elle. Tandis que Sora redéposait sa tasse, Silver fut sortie de ses pensées brutalement. Elle sortit un téléphone portable de sa poche. Bien que la Winnipesaukee ne soit pas une fan des nouvelles technologies, elle savait comment fonctionnait ces gadgets, merci bien, et déduisit donc que l'engin avait dû vibrer, raison pour laquelle elle n'avait rien entendu. Elle hocha distraitement la tête en signe d'acceptation des excuses de Silver, bien qu'un léger sourire en coin se glissa sur ses lèvres aux derniers mots de la jeune femme. Elle devait avoir des proches très protecteurs.

La laissant s'éloigner pour tenir sa conversation en privée, Sora reprit une gorgée de thé, tout en inspectant son travail de soudure. Celle-ci avait prit un aspect laissant entendre qu'elle était bien sèche et avait refroidi, la bijoutière déposa donc sa tasse tout en observant l'objet sous tous les angles pour vérifier qu'aucun défaut ne se cachait à ses yeux aiguisés. Elle prit finalement le bracelet entre trois doigts, le loup dans l'autre main, et les fit tourner puis testa les maillons qui les reliaient, délicatement d'abord, puis plus franchement histoire de s'assurer que l'assemblage ne céderait pas au premier choc. Après quelques manipulations et vérifications d'usage, la perfectionniste s'estima satisfaite et redéposa le bijou sur le comptoir. Une gorgée plus tard, et Silver mettait un terme à sa conversation téléphonique et revenait vers elle.

« Je vous en prie. » répondit-elle simplement aux excuses polies de sa cliente. Elle sourit quasiment automatiquement aux compliments de Silver sur la réserve. Sa terre, elle en était fière, et elle l'aimait profondément. Ce n'est pas pour rien qu'elle ne l'avait quasiment jamais quitté (ce qui signifiait aussi qu'elle n'avait pas beaucoup de comparaisons possibles, mais peu importait : pour elle, le territoire des Winnipesaukees était le meilleur qui soit). Elle était donc naturellement contente que d'autres, totalement étrangers à la culture amérindienne, apprécie ces lieux au même titre qu'elle. Elle était toujours heureuse que les gens se promènent en forêt ou autour du village, tant que ce n'était pas pour venir en touriste avec une caricature de sioux en cage en tête.

Attendant a priori son ami, Silver n'était pas pressée. Sora non plus, à cette heure là les foules ne frappaient pas aux portes de l'épicerie. Elle s'accouda donc au comptoir, prête à écouter ce que son interlocutrice semblait encore avoir sur le coeur. Sur un sujet tout à fait différent cette fois-ci - et heureusement, il y avait quand même une limite à ce que Sora aurait pu endurer dans le domaine - et un sujet qui plaisait fort à Sora, puisque lorsqu'on parlait d'orfèvrerie elle était toujours toute ouïe. Une mère bijoutière... décidément, cette Silver avait tout pour plaire ! « Vraiment ?! Je serais ravie si vous aviez quelques photos à me montrer de ses créations. Je préfère les bijoux traditionnels ou historiques, mais il est toujours intéressant de voir des pièces uniques : elles ont une aura toute particulière. » s'enthousiasma Sora.

Que Silver souhaite offrir l'une des créations de Sora à sa mère faisait bien entendu honneur à la demoiselle. Pas qu'elle ait une fierté ou un égocentrisme exacerbé, mais les relations avec ses collègues était quelque chose de particulier pour la louve. Elle se leva donc avec entrain, réfléchissant rapidement à ce qu'elle pourrait suggérer à Silver. Son regard passa alors sur le bracelet déposé sur le comptoir et elle fit un signe de la main vers lui, avant d'oublier, emportée par son enthousiasme. « Votre bracelet est prêt. Il tiendra bien les chocs, mais éviter de le porter dans une quelconque situation où vous pourriez tirer dessus, cela pourrait endommager le loup. » conseilla-t-elle tout en faisant le tour de la table. Elle se dirigea vers les vitrines disposées le long des murs les plus proches de la caisse et où étaient soigneusement exposées ses créations, mises en scène par les soins de sa tante.

« Pour ce qui est d'un cadeau pour votre mère, tout dépend bien entendu de ce qu'elle préfère : bijoux plutôt discrets et délicats ou plus massifs ; et de ce que vous souhaiteriez peut-être lui offrir. » Se mordillant les lèvres, elle réfléchit rapidement avant de pointer du doigt un collier disposé sur un présentoir surélevé. Il était formé de deux lanières reliées entre elles par un croissant de lune en bois troué pour laisser passer chacune d'entre elle ; sur la lanière la plus longue, une plume de taille modeste mais aux couleurs irisées était fixée au centre, entourée de perles de bois allant du plus foncé au plus clair, entre lesquelles étaient alternées des tiges de bois clair ; sur la plus courte, le même dispositif de perles étaient proposées, mais à la place de la plume trônait une labradorite taillée en forme de larme, du même bleu irisé, elle était sertie dans un ensemble d'argent sculpté qui la retenait en torsades à la lanière. Le collier était volontairement large, de sorte qu'il pouvait être passé sans aucun problème par dessus la tête, et trôner sur la poitrine d'une femme avec aplomb, sans pour autant la gêner. « Labradorite, argent, bois, plume : une association favorisant la protection et la régénération, probablement utile contre le stress que doit amener la responsabilité d'un magasin à Providence... » Clairement, Sora ne lui enviait pas sa place. Elle laissa Silver regarder par elle-même, mais continua avant qu'elle ne puisse faire mine de placer un mot, histoire qu'elle ne se décide pas de manière impromptue. Elle l'entraîna un peu plus loin, vers une autre vitrine. Cette fois-ci, il fallut s'accroupir pour regarder une paire de boucles d'oreille présentée sur un velours pourpre. Une feuille de chêne taillée dans du bois clair était tenu par une attache en argent, argent qui torsadait ensuite autour d'une turquoise veinée de noire, formait une sphère enlacée, avant de se terminer par l'attache de la boucle. « Turquoise, argent, bois de chêne : force et santé mentale. »

Bien que Sora offrait quelques précisions propres à l'histoire et aux croyances de son peuple, ce n'est pas vraiment ce qui la préoccupait principalement dans ses créations. Seul l'équilibre comptait, et cela elle le sentait dans ses doigts, cela ne s'expliquait pas. Pour elle, chaque création, selon sa composition et sa forme, était néanmoins bien particulière, et ce n'est pas pour rien qu'elle avait dirigé Silver vers des créations hautes en symbolisme de spiritualité, ignorant totalement les colliers et bijoux composés de dents d'animaux ou de similis.

Nathan venait tout juste de quitter le commissariat d’Hanover, à la fois contrarié et soulagé. Soulagé parce qu’un nouvel agent de service ménager avait été engagé pour l’assister. Ils partageraient les tâches à effectuer sur les lieux. C’était le seul point positif que Nate parvenait à discerner dans cette embauche. Le jeune chasseur n’était pas particulièrement paresseux à bosser, mais de nettoyer et passer la serpillère toute la journée n’avait rien de bien passionnant. Mais il était là pour une raison précise, voilà pourquoi il était contrarié. Comment pourrait-il feuilleté les nouvelles notes de la police sur les enquêtes en cours concernant les meurtres qui avaient lieux actuellement à Hanover, avec un type qui le collerait sans cesse aux basques ? Comme si la tâche n’était pas assez difficile, il fallait qu’on la lui corse un peu plus.

Cependant, la présence de ce nouvel inconvénient lui offrait l'avantage d'avoir le reste de sa journée libre. Il pouvait ainsi rejoindre sa protégée. Il n'aurait qu'à patienter une heure à l'appartement, puisqu'elle était surement encore en cours actuellement. Ce n'était pas un problème pour lui, il en profiterait pour ranger un peu le logement. Ensuite il emmènerait peut-être Silver faire un tour à Hanover, ou même pousser jusqu'à l'une des villes voisines pour se faire une petite balade et manger au restaurant. Enfin, ils verraient bien cela ensemble. Ils n'aimaient généralement pas rester sans rien faire le soir. Nathan parvint au parking du campus de l'université et, se gara à sa place habituelle. Il s'apprêtait à quitter l'habitacle quand un groupe d'étudiants attira son attention. Il reconnaissait bien l'un de ces gringalets. Le jeune chasseur ne connaissait pas tous les camarades de Silver, mais il était à peu près certain que ce type était dans le même cours d'anthropologie qu'elle. Nan, Nathan n'était pas du genre obsessionnel. Toutefois, en arrivant à Hanover il avait prit la précaution de vérifier qu'aucun membre de l'entourage de Silver n'était un vampire. Une prudence des plus élémentaire. Il était plus qu'hors de question que Silver fréquente inconsciemment ces buveurs de sang. Le jeune chasseur plongea la main dans la poche de sa veste de cuir et en ressortit son cellulaire. Il appuya quelques secondes sur une touche mémoire et colla l'appareil à son oreille en attendant d'être mis en relation avec sa colocataire. Plusieurs tonalités passèrent, avant que la jeune femme ne décroche. « Salut toi, j'ai terminé plus tôt. T'es pas censée être en cours ? ». La jeune femme lui expliqua que son cours favoris avait été annulé. Nate lui proposa de la rejoindre et après environ une paire de minutes le jeune chasseur raccrocha et rangea son mobile là où il l'avait prit. Silver était à la Réserve indienne des Winnipesaukee. Apparemment elle avait un objet à faire réparer par l'orfèvre du coin, elle avait profité de son heure libre pour y faire un tour. Il n'avait plus qu'à l'y rejoindre.

Nathan n'était jamais allé à la réserve. Il fallait avouer qu'il n'en avait jamais eu de véritables occasions, ni aucun prétexte valable pour s'y rendre. Le territoire indien était généralement opposé à ses trajets quotidiens. Le véhicule finit par s'engager sur les chemins devenus terreux au fur et à mesure qu'il se rapprochait de sa destination. Vitres baissées, il pu pleinement apprécié l'air frais. L'endroit respirait le naturel. La différence entre les terres des Winnipesaukee et Hanover était des plus flagrantes et de croire que de tels lieux se situent à une distance si faible était difficilement croyable. Il se promit mentalement de venir visiter les lieux prochainement.

Il ne tarda pas à arriver à l'adresse que lui avait fourni Silver. Arrivé dans le centre de la réserve, il ralentit un peu. Face à l'épicerie, il reconnu la voiture de sa protégée, ce qui lui confirma qu'il n'avait pas fait d'erreurs. Nathan se gara derrière la new beetle puis remonta les vitres de son propre véhicule. Il quitta l'habitacle rapidement et la portière claqua lorsqu'il la referma. Il rangea ses clés de voiture dans sa poche avant de traverser la rue. Il jeta un coup d'oeil à travers la porte en verre de l'épicerie et reconnu la silhouette très familière de sa meilleure amie. Sans prendre la peine de frapper - ce n'était pas nécessaire dans un commerce n'est-ce pas ? - Nate entra, déclenchant le tintement d'une clochette, annonçant son arrivée.

L'atmosphère à l'intérieur de l'établissement était détendue. Silver buvait un thé en compagnie de ... de l'orfèvre. Il eut l'impression de manquer une respiration, que son coeur ratait un bond. Tout ce qu'il en était, c'était qu'il ne pouvait plus décrocher son regard du rideau de cheveux châtains tombant sur le visage de la jeune femme qui s'affairait à réaliser un paquet cadeau. La voix de l'orfèvre se fit entendre lorsqu'elle demanda à Silver si elle avait besoin d'un sac. Ses accents avaient tout ce qu'il y a de plus merveilleux et enchantait parfaitement son oreille. Il perçu vaguement les paroles que lui adressait Silver, comme si ses propres oreilles se seraient retrouvées sous l'eau. Les sourcils du jeune chasseur se froncèrent légèrement, troublé. Ce qui le rassurait à moitié, c'était que la dénommée Sora semblait être dans le même état que lui. La jeune femme se déclara enchantée de le rencontrer, ce qui tira un faible rictus à Nathan. « Moi de même » répondit-il en un souffle.Le jeune chasseur se sentit essoufflé, comme s'il venait de courir le marathon de New-York à vitesse grand V. Il lui aurait certainement volontiers serrer la main, mais quelque chose lui soufflait que si ce contact avait lieu, il aurait de sérieuses difficultés à s'en défaire. Pour retrouver contenance, il se fit violence pour détourner ne serais-ce qu'un instant les yeux de Sora, pour poser ces derniers sur Silver dont le regard allait de Sora à lui-même, comme assistant à un match de tennis au ralenti. Le jeune chasseur se racla la gorge et se passa une main sur la nuque, tics révélateurs de son trouble. « Eum... tu as pu faire réparer ton objet ? » finit-il par dire, distrait.

Il y avait quelque chose de fascinant dans la manière d'être de la jolie orfèvre. Comme une aura qui lui collait à la peau, si attractive, que Nathan peinait à rester à distance. Captivé. C'était à peu près le bon terme pour qualifier cet état, dans lequel avait sombré le jeune chasseur en franchissant le seuil de l'épicerie. La présence de Sora avait tellement écrasé sa perception, que ce fut à peine s'il remarqua la présence de sa meilleure amie, pourtant unique raison de sa présence sur les lieux. Nathan dut s'arracher à la contemplation de la jeune femme afin d'accorder un minimum d'attention à sa meilleure amie. D'une manière inhabituellement distraite, le jeune chasseur lui demanda si elle était parvenue à faire réparer l'objet pour lequel elle était venue. Ce fut presque avec désintéressement qu'il saisit la réponse de Silver. Cette dernière passa devant lui et paya ses achats avant de pivoter vers lui. Ce fut comme si le regard azuré de Nathan était passé en travers d'elle. Sans la voir. Nate se sentait comme bloqué dans cet état d'admiration face à Sora. Il n'aurait pas su l'expliquer. Certes, Nathan était déjà tombé amoureux par le passé. Notamment de Silver, lorsqu'ils étaient plus jeunes. Il se souvenait bien d'une puissante sensation, qui s'était retournée contre lui lorsque la jeune femme lui avait fait part des sentiments fraternels qu'elle avait pour lui. Mais rien n'était comparable à ce qu'il ressentait en l'instant présent. Pas même l'amour qu'il eut eu pour Silver durant leurs adolescences. Et c'était profondément déroutant.

Silver déclara qu'elle avait l'intention de faire un tour dans la réserve pour voir un ami. Plongé dans ses pensées et surtout dans l'admiration de la belle orfèvre, Nate n'y accorda pas vraiment d'attention. Dans un état 'normal', il aurait reconsidéré la phrase de sa meilleure amie. Un ami ? À la réserve ? Elle ne lui en avait jamais parlé. Il se serait alors demandé qui cela aurait-il pu bien être et l'aurait innocemment interrogé. Et ensuite il aurait été rapidement vérifié que la personne en question ne présentait pas de risque pour elle. De loin. Mais, il n'était pas dans son état quotidien, aussi les intentions de Silver passèrent inaperçues aux yeux de Nathan.

Nathan se rendit réellement compte de l'absence de Silver, seulement lorsque la porte de l'épicerie se referma sur elle, dans un tintement claironnant de clochettes. De même que ce fut seulement à cet instant qu'il prit conscience de l'unique présence de la belle indienne. Le jeune chasseur n'aurait su mettre les mots justes sur l'étrangeté de la situation. Il n'avait jamais cru aux coups de foudres que les films hollywoodiens se plaisaient tant à décrire. Et une part de lui-même se traitait mentalement d'idiot de qualifier les vagues déferlantes de sentiments qui se déversaient en lui à cet instant précis, par ces termes clichés. Mais comment nommer cela autrement ? C'était l'appellation la plus proche qui lui ait traversé l'esprit. Le silence qui s'installait dans la pièce n'était pas d'une lourdeur insupportable. Bien qu'un rien dérangeant, du fait qu'ils restaient tout deux plantés là, à se regarder dans le blanc des yeux. Il eut beau se retourner l'esprit afin de trouver quelque chose d'intelligent à dire, ce dernier tournait comme à vide. Il fut de nouveau frappé par la beauté de la jeune femme.

« Merci d'avoir réparé le bijou de Silver, elle y tient particulièrement » la remercia-t-il

Il tenta mentalement de se refaire l'image du dit bijou, sans y parvenir. L'avait-il seulement déjà vu ? Il contint un froncement de sourcils. Dans tous les cas, pour que la jeune femme désire le remettre en bon état, elle devait y attaché une certaine valeur. De nouveau, il se retrouva sans rien avoir à dire. Peut-être aurait-il dû proposer à Silver de l'accompagner, sortir, au lieu de rester et passer pour un idiot. Oui, car lui-même se sentait complètement crétin à cet instant précis. Il n'avait rien à acheter, rien à demander à la jeune femme et elle devait certainement s'interroger sur le pourquoi il restait planté là, à la limite de baver d'admiration face à elle. Le jeune homme désigna l'intégralité de la boutique d'un mouvement semi-circulaire du bras :

« Vous avez une très belle boutique. Ce n'est pas trop difficile à gérer seule ? »

Autant s'il était passé pour un idiot, il avait la désagréable sensation de lui en avoir donné la confirmation. Qu'est-ce qu'il allait lui parler de la gestion de sa boutique ? Certes, il la trouvait plutôt jeune pour la tenir, semblait-il seule, mais c'était plutôt personnel comme interrogation. Et il ne voulait pas passer pour un curieux indiscret. Toutefois, il préférait avoir lancé la conversation sur ce sujet, plutôt que sur la météo. Là, s'aurait été la cerise sur le gâteau ...