BACKLASH - act I - { June Evans }

Le sabre fendit l’air : sa dernière victime étouffa un cri avant que son bassin ne se dissocie du reste de son corps. Le chasseur, littéralement coupé en deux, laissa ses tripes s’épancher sur le sol du hangar, se mêlant aux boyaux de ses camarades. Rain essuya le revers de son arme, machinalement, comme si le meurtre n’était qu’un procédé « technique ». Il l’était devenu. Trois cent longues années à croiser le fer avec toutes sortes de créatures, de ses propres congénères, les Sang-Froid, aux lycans, en passant par les monstres de première catégorie : les humains. Mais ces guerres perpétuelles finissaient par la lasser. Et malheureusement, elle ne pouvait espérer gagner le repos éternel. Elle avait bien essayé de mettre fin à ses jours : on le lui avait empêché. Aussi, il lui était arrivé de se reprendre en main, en pensant à sa seule raison de vivre. Et lorsqu’elle aspirait à la simple tranquillité, les chasseurs en profitaient pour lui planter un couteau dans le dos. Elle en avait assez d’être traquée. Et Jonathan Fitch avait été le détonateur qui avait enclenché sa folie meurtrière. Discrète et prévoyante à l’accoutumée, Rain avait perdu toute patience : remontant un à un la lignée des chasseurs d’Hanover grâce aux informations glanées ci et là, elle avait entreprit une sanglante vendetta.
Fichée au milieu de ce carnage, le vampire restait de marbre face à ce bain de sang. Elle avait dévoré ses précédentes victimes. Cinq de moins. Maintenant, il lui restait une personne. Un nom. Donné par le novice qui avait osé la menacer avec un malheureux couteau de boucher.

June ne se doutait pas qu’elle était suivie depuis deux semaines maintenant. Et ce soir, Rain comptait enfin lui rendre visite. Officiellement du moins… car son appartement et les secrets qu’ils regorgeaient n’avaient plus de secret pour elle.

La serveuse avait finit tôt ce jour là : la nuit n’était pas encore tombée, mais le ciel menaçant annonçait une fin d’après-midi bien morose… Le parc Keene se vidait de ses derniers promeneurs… Les mères se hâtaient de récupérer leurs chers bambins, de peur qu’ils ne prennent la pluie. Ce comportement naturel avait toujours amusé le vampire… Ils fuyaient l’averse comme si les cieux se préparaient à cracher des gerbes d’acides. Rain se souvenait du temps lointain où elle était encore humaine. Elle passait des heures sous la pluie, levant le menton vers le Divin comme s’il allait la laver de ses péchés. Mais pour le moment, sa préoccupation première se nommait June Evans et elle la guettait au loin, plantée sur le toit d’un immeuble délabré. C’était devenu une coutume pour la chasseresse, de venir changer d’air au parc de la ville, après avoir fini son service. Habitude qui n’avait pas échappé à celle qui la traquait. Assise sur un banc en face des jeux d’enfants, June semblait s’évader le temps d’une pause dans sa vie ô combien mouvementée. Rain n’avait pas non plus omis le cadre de famille caché dans le tiroir du salon, sur lequel on pouvait voir un nourisson et un homme de belle allure aux côtés de la chasseuse. L’assassine avait une petite idée de la raison qui poussait June à contempler ces gamins qui jouaient gaiement avec leurs mères. Elle serait sûrement un sujet intéressant, mais Rain n’avait plus le temps de s'amuser avec sa victime : il fallait agir. De plus, elle était à peu près sûre qu’il s’agissait de l’une des responsables de l’échec des Volturi. Il ne restait plus qu’à confirmer ses soupçons.

Noyée dans ses pensées, June sentit une brise fraiche caresser sa joue. Le vent n’y était pas pour grand chose : il n’y en avait pas une trace. A sa gauche, se tenait une créature qui n’avait de monstrueux que la beauté. Son regard vert fixait l’horizon, ne prêtant guère attention à la chasseuse. Pourtant, June se sentait irrémédiablement attirée par la présence magnétique du vampire. Le coude contre le dossier, l’index pointé à l’extrémité de ses lèvres, Rain semblait aussi méditative que pouvait l’être sa proie avant qu’elle ne se rende compte de la présence de l’intruse. Après un instant de silence, elle finit par faire entendre sa voix suave, à la fois mélodieuse et sensuelle, laissant deviner que seul le Malin pouvait se cacher derrière cet écran de perfection…

« Ne me fais pas perdre mon temps… Tes camarades m’ont déjà donné beaucoup de mal. Je t’écoute. »

June devait passer aux aveux, sans quoi, Rain perdrait très vite patience. Elle qui savait se montrer si attentionnée avec ses victimes, cette fois, elle voulait en finir. Rapidement et proprement.

June avait rendu service à une collègue ce jour-là et avait échangé son quart de nuit avec le quart de jour de cette dernière. La pauvre avait une journée spéciale d'organisée avec l'école de sa fille, un genre de camps de sport ou quelque chose comme ça. Comment June aurait-elle pu refuser une telle chose? Elle aurait décroché la lune pour avoir ne serait-ce qu'une seule rencontre à l'école de son fils, mais cela ne serait jamais possible. Son fils était mort et incinéré, à défaut d'être enterré, et il était au côté de son père, maintenant. June n'était plus qu'une âme errante dont le coeur battait encore, qui attendait le jour où elle retrouverait enfin sa famille. Évidemment, le suicide n'était pas option, car, sans qu'elle soit réellement croyante, on disait que les gens qui se suicidaient allaient en enfer, et June ne voulait pas prendre trop de chance. Surtout depuis qu'elle savait que les vampires et les loups existaient. Et pourquoi pas le paradis et l'enfer?

Le temps était frais, mais pas assez pour que June ne fasse son petit détour par le parc, comme elle le faisait plusieurs fois par semaines. Elle s'assoyait et regardait les enfants jouer. Parfois, une mère prenait place à ses côtés et lui demandait: "Lequel est le vôtre?" Et là June souriait et sortait une photo de son porte-feuille. "Il s'appelait Lucas, il aurait environ cinq ans aujourd'hui" Et souvent elle se confiait aux autres maman, disant que Lucas était décédé dans un accident de voiture, avec Logan, le père de l'enfant. C'était le seul endroit où elle parlait vraiment de ses choses. Lorsqu'elle était au Keene Park, elle n'était pas June Evans la chasseuse, elle était June Evans, la mère. Sa vie s'arrêtait un instant et elle reprenait aussitôt que la chasseuse quittait l'endroit. Elle ne parlait jamais de ce genre de choses à ses proches comme Billie Jean ou encore Zach, mais aux mères inconnues, elle s'ouvrait, car elles seules pouvaient réellement comprendre qu'il n'y avait rien de pire que la perte d'un enfant.

Ce soir-là, aucune maman ne vint discuter avec elle. Elles étaient toutes bien trop occupées à ramener leurs enfants à la maison, car le temps se couvrait. June leva les yeux au ciel. Avec la température, elle ne savait pas trop s'il allait neiger ou pleuvoir, mais les deux situations étaient bien possible. June n'aimait ni la neige, ni la pluie, mais n'avait aucune envie de rentrer tout de suite à la maison, dans son petit appartement vide et presque lugubre. De plus, aucune chasse n'avait été prévue avant le lendemain, et June avait prit la ferme décision de ne plus chasser toute seule, depuis qu'elle avait été forcée de porter des atèles - une au bras et une à la jambe - pendant un mois. Comme mentionné plus haut, elle n'était pas suicidaire.

Puis June sentit une brise lui caresser la joue, alors qu'il ne ventait pas et un grand frisson lui traversa l'échine. Elle s'aperçut d'une présence à sa gauche et sut tout de suite de quoi il s'agissait. À l'intérieur elle était tendue comme une arc à flèche, mais à l'extérieur elle restait calme, comme si l'arrivée du sang-froid était tout à fait attendue. Si le monstre ne l'avait pas encore tué, c'était parce qu'il voulait sans doute s'amuser avec elle. En plus, il restait encore quelques passants qui, pressés par la température, s'éloignaient rapidement du parc. June avait toujours ses poignards sur elle, mais elle savait pertinement qu'ils ne lui seraient pas utiles. Le vampire - ou plutôt la vampiresse - l'arrêterait bien avant que June n'atteigne ses armes, de toute façon, mais avait-elle le choix? Allait-elle se laisser mourir sans même faire un geste pour sa survie? Elle tourna la tête, dans un geste lent et calme, afin d'analyser la chose. Comme tout les vampires, elle était d'une incroyable beauté. Elle plissa les lèvres en un léger sourire en pensant à Zach qui lui avait souvent répété: "Faut pas se fier aux apparences, la beauté vient de l'intérieur... et eux, ils sont vraiment très laids à l'intérieur, je le sais, j'en ai découpés quelques uns"

Ce n'était pourtant pas le temps de rire. June allait mourir, elle le savait. Elle était seule, n'avait pas l'avantage de la surprise et n'aurait jamais l'opportunité d'attraper ses armes, car elle n'était pas aussi rapide que le monstre. Peu importe la manière dont elle évaluait la situation, elle était fichue. Puis ses analyses furent stoppées par le vampire qui prit la parole d'une manière assez directe. Même trop directe. June ne comprit pas tout de suite, mais à la mention de ses "camarades" une petite lumière s'alluma. Certains chasseurs avaient disparuts depuis un petit moment, peut-être parlait-elle de ces camarades là? Pourtant, June ne connaissait aucunement ces chasseurs, mais ça, le vampire devait s'en ficher royalement. Ayant la certitude que sa fin était maitnenant venue, June regarda de nouveau droit devant elle, sereine. Elle acceptait la situation, si elle devait mourir, elle le ferait la tête haute au maximum.

"Qu'est-ce que tu veux? Que j'avoue un crime, peut-être? Tu as tué beaucoup plus des miens que je n'ai tué des tiens. C'est de la survie, autant pour toi que pour moi. Tu es venu en finir avec moi? Tant pis, j'aurai eu au moins le mérite de me débarrasser d'une poignée d'entre vous. Et pis, des gens comme moi, y en a partout et de plus en plus, que j'y sois ou non, ça n'a plus d'importance et tu ne pourras pas l'empêcher. Maintenant fait ce que tu as à faire et cesses de perdre ton si précieux temps."

Le sang-froid de June était tout à son honneur. Nul besoin d’effusions de sang ni de paroles inutiles : un simple acquiescement, pour le moins inattendu. Rain avait l’habitude qu’on lui résiste. Et si cela plaisait à la plupart des prédateurs, notre fine lame abhorrait l’arrogance des hommes. Qu’il s’agisse d’humains, de lycans ou encore de ses congénères, ils étaient tous rentrés dans ce stupide processus de provocation, croyant bêtement qu’ils étaient au-dessus de tout. Mais si un cœur battait –ou non- dans leur poitrine, on pouvait les considérer comme faillibles. Et Rain avait le pouvoir de creuser leurs faiblesses...
C’est donc par son intellect et sa lucidité que June se démarqua de ses comparses. Et si elle ne pouvait espérer échapper à son sort, la chasseuse allait, sans le savoir, modifier les plans du vampire. En plus d’influencer les machinations de l’intrigante, June avait entièrement raison sur l’idée qu’elle se faisait de son ennemie. A savoir : sa beauté intérieure, largement contestable, sa rapidité à lui casser le bras si elle tentait une offensive désespérée, son total désintérêt de savoir si la chasseuse était en relation avec ses autres victimes et pour finir : l'extrême brièveté du temps qu'elle avait à lui accorder. Aussi, June avait parfaitement assimilé la notion de survie, même si elle n'avait pas vécu les guerres mondiales et civiles qui avaient broyé Rain dans l’Histoire sanglante de son pays : Yǔshuǐ Si-Jie avait appris à vivre au dépend de l’autre dès son plus jeune âge.

Mais les paroles de la mère courage heurtèrent l'Eurasienne, qui, forte de son expérience, avait été conditionnée à ne plus s’ébahir de rien. Et pourtant, après plus de trois cent ans d’existence, les humains parvenaient encore à l’étonner. Quelle curiosité... Une raison de plus de continuer à les tourmenter. Seulement, quelque chose semblait agacer le vampire, qui jusque là se satisfaisait pleinement de la réponse de son hôte. On voyait bien que ce n’était pas l’envie qui lui manquait de reprendre June sur ses propos mais elle faisait taire ses émotions, comme si elle s’interdisait tout sentimentalisme apparent. Mais pour sa gouverne, Rain ne se considérait pas comme un vampire. Et encore moins comme une humaine : l'étrangère avait visiblement un problème avec l’appartenance à une famille, qui avait toujours été une notion abstraite pour elle. Que ce soit au niveau du cercle social, génétique, patriotique ou même de sa sexualité : la métisse ne s’était jamais sentie rattachée à un groupe. Mais June n’en savait rien. Alors comment lui faire entendre raison ? Sa propre éligibilité était le cadet de ses soucis. Rain se contenta donc de répondre, très simplement.

« Le sort des vampires m’importe peu »

En ne s’incluant pas dans cette espèce, elle laissait entendre tout et rien. Il fallait bien plus d’un échange de mots pour comprendre la position de Rain dans cette guerre raciale. Seulement, elle ne laisserait pas à June le loisir d’éclairer sa lanterne. Celle-ci se fichait d'ailleurs probablement des convictions de son assassin. Mais les victimes cherchent toujours à savoir pourquoi le sort s'est abattu sur leur tête. Malgré cela, Rain n’expliqua pas les raisons de sa vendetta, pas plus qu’elle ne fit la lumière sur cet étrange façon de s’exclure de la famille des vampires. Elle n’était pas là pour se justifier, mais bien pour demander des comptes. Rain poursuivit :

« Je ne compte plus les imbéciles qui ont perdu la vie par leur arrogance. Ils aboient fort, mais ne mordent pas »

C’était une manière détournée de la complimenter sur sa sagesse ; Rain n’avait pas pour habitude de se montrer élogieuse envers l’autrui. Si son partenaire d’un soir était à son goût, elle lui dirait –et seulement s’il le lui demandait- qu’il n’était pas repoussant, plutôt que d’avouer son attirance. Elle était ainsi. June devait comprendre qu’elle ne faisait pas parti de ces impertinents qui irritaient tant l'Eurasienne.

Mais si elle était aussi raisonnée, pourquoi la tuer ? Rain avait ses raisons. Et cette fois-ci, elle se fit plus explicite.

« Mais tu devrais savoir aussi bien que moi,... que nous constituons une menace bien plus sérieuse... »

Que voulait-elle donc dire ? Pourquoi s’inclure ? Et à quelle dangerosité faisait-elle allusion ?

« …après tout... nous n’avons rien à perdre. »

On avait enlevé à ces deux femmes, ce qu’elles avaient de plus cher. Quoiqu’elles fassent, rien ne ramènerait l’être aimé. Alors à quoi bon vivre ? Par simple commodité. Ces âmes habitées par le néant étaient plus redoutables que tout autre prédateur, car il n’y avait rien qui les attendait après la bataille. Elles ne réfléchissaient pas à « l’après », Carpe Diem, de vraies bombes à retardement, prêtes à exploser dans la main de quiconque constituait un obstacle.
Seulement, Rain ne savait pas si elle pouvait faire confiance à sa victime. Etait-ce un numéro pour espérer sauver sa peau ? Ou, pire, se mentait-elle en croyant être indifférente à la mort ? Il lui fallait vérifier, mettre son éthique à l'épreuve. Car abattre cette humaine qui avait peut-être plus de lucidité et de sagesse qu’un vampire millénaire, serait criminel. Cette décision ne lui revenait pas, elle allait laisser la vie de June entre les mains du Destin : la livrer à ceux qu’elle avait renvoyé en Enfer serait une belle ironie. Advienne que pourra, si son existence avait une quelconque valeur, June survivrait.

Soudain, Rain disparut du champ de vision de la chasseuse. Puis, à la seconde suivante, la condamnée put sentir la présence glaciale du vampire dans son dos.

« Je reviendrais… Au coucher du soleil. »

Aussi subitement qu’elle était apparut, Rain se volatilisa : la tension accumulée retomba en bloc et la chasseuse put à nouveau ressentir la quiétude de cette fin de journée particulièrement étrange... Cet ultimatum sonnait comme un avertissement posthume. Elle pouvait s'enfuir. Loin d'ici. Ou accepter son sort.

June avait rendez-vous avec la Mort. Lui fausser compagnie, serait... malvenu, vous en conviendrez ?

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